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En revenant du congrès des aumôneries catholiques des prisons , une paroissienne me disait : « certains prisonniers écrivent de très belles choses ». Je lui ai répondu avec tristesse : « malheureusement ils n’ont guère que ça à faire ». En maison d’arrêt, en attente de jugement, c’est le cas à Digne, les détenus restent en cellules pratiquement 22 heures sur 24, à plusieurs dans quelques mètres carrés. Le temps est donc long sans activité, sans déplacement, avec pour seule occupation de ressasser la raison pour laquelle ils se trouvent en prison et un avenir pour certains très sombre et souvent source de très grandes angoisses. J’étais à une conférence de Lytta Basset à Aix-en-Provence et l’une des questions portait sur la victimisation de notre société, y compris pour les personnes détenues. Dans un processus de réconciliation, il peut y avoir ce réflexe de victimisation et nous pouvons de temps en temps l’entendre en prison : « si je suis ici c’est de la faute de la justice, de tel ou tel, je suis victime d’une erreur judiciaire… ». Mais nous avons plus souvent affaire à une telle culpabilité que le mutisme est leur seule arme. Un silence qui ressemble à une torpeur, agrémenté de prise de médicaments, de dépressions profondes. Un silence qui n’a rien à voir avec un retour sur soi apaisé mais qui est un emprisonnement intérieur, isolement progressif. Le milieu carcéral est violent. Non pas de ces violences que l’on peut voir à la télévision dans les séries B américaines où l’on enfermerait des bêtes sauvages en cage, mais une violence sourde et cachée qui détruit peu à peu la personne intérieurement. L’État français propose de multiples solutions pour enrayer ces situations complexes avec plus ou moins de réussite. Le rôle de l’aumônerie n’est pas là, ce n’est pas dans ses compétences même si parfois elle peut être un vecteur de cette libération et réconciliation profondes. Pas plus que le Christ n’est venu pour expliquer ou résoudre le mal et la mort, l’aumônerie n’est là pour résoudre ces questions. En aumônerie, nous ne sommes pas du côté des détenus mais à leurs côtés. Nous évitons toute compromission avec le délit ou le crime, comme le Christ n’a pas frayé un seul instant avec le mal, le péché ou la mort. Mais le Christ est descendu au cœur même de la mort et nous désirons accompagner le Christ qui descend au cœur de la souffrance, au cœur des morts successives, des angoisses, des peurs, des crimes des personnes détenues. L’aumônerie catholique n’est donc pas un groupe de personnes libres qui viennent faire la morale à des coupables ; d’autres s’en chargent sans scrupule. Mais nous faisons aumônerie avec les personnes détenues, nous cheminons avec eux, nous portons nos fardeaux en commun pour être relevés ensemble dans ce mouvement dynamique de la libération intérieure. Nous savons avec eux que le Christ n’est pas venu expliquer le mal mais il est venu l’habiter pour ouvrir un chemin de résurrection. Nos rencontres en groupe ou personnelles veulent être comme le levain dans la pâte et non un moule qui donnerait la forme du pain . La forme de pain quotidien ce sont les personnes détenues qui la donne avec les contraintes de la prison, les contraintes de leur histoire humaine, de leur vie spirituelle. Ce pain est appelé à lever doucement pour témoigner de l’amour du Christ pour chacune et chacun d’entre nous quoi que l’on dise, fasse ou pense. Ce service communautaire de la charité du Christ, nous le vivons avec une profonde facilité de mise en place. Je voudrais d’ailleurs saluer le travail et la grande proximité de tous les professionnels de la maison d’arrêt de Digne (soignants, agents de surveillances, direction, assistantes sociales…), ils nous accompagnent dans notre ministère et le facilitent. L’administration pénitentiaire en France a compris depuis très longtemps ce rôle original et primordial de l’aumônerie. En prison, la relation État-Religion fonctionne très bien. Ici ou là, il y a quelques lourdeurs administratives ou des conflits de personnes mais ce n’est rien à côté des possibilités offertes aux aumôneries de prison. Le fait par exemple que seul l’aumônier puisse entrer en cellule sans raison disciplinaire. En effet, aucune autre personne ne peut franchir le seuil de la cellule sauf pour un motif grave touchant à la sécurité intérieure de l’établissement. Nous pourrions entendre ici le Christ dire à Zachée « aujourd’hui je veux demeurer chez toi » (Luc 19,1-10), car le Christ vient demeurer dans les cellules.
Voici quelques lignes de M. Pinatel, aumônier bénévole qui insiste sur la notion de fraternité universelle, de Mme Monnet, auxiliaire d’aumônerie qui nous parle de la communion entre paroissiens détenus et libres et M. Chan Chunwan, aumônier protestant qui nous fait découvrir son ministère. En cette année de la foi, nous avons trouvé important que l’aumônier protestant s’exprime car l’œcuménisme est constitutif de notre foi chrétienne.
La paroissienne libre avait raison, certains détenus écrivent de très belles choses à propos de leur cheminement intérieur, voici un des textes parmi de nombreux.
Stéphane Ligier, prêtre, aumônier titulaire
Le congrès de l’aumônerie catholique des prisons a rassemblé plus de 500 personnes à Lourdes du 19 au 21 octobre 2012. Sous le titre « Appelés à la Liberté », il a réfléchi aux conditions dans lesquelles l’aumônerie des prisons peut être acteur de la préparation à la réinsertion, sujet d’actualité brûlante.
Après avoir été pasteur de l'Église réformée à Genève, Lytta Basset occupe un poste de professeur de théologie pratique à la faculté de théologie de l'université de Neuchâtel. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages spirituels qui ont connu une importante audience dans la littérature religieuse, notamment avec le succès de Sainte Colère paru en 2002, où, à travers les figures de Jacob, Job et Jésus, elle développe la thèse selon laquelle c'est par la colère que se construit une foi adulte et personnelle. Elle dirige la revue internationale de théologie de l'Université de Neuchâtel La chair et le souffle. Elle est également une militante engagée dans plusieurs associations pour le développement durable et contre la violence.
Le rassemblement quinquennal des aumôniers de prison de la Fédération-Protestante-de-France s’est tenu du 4 au 7 octobre à Strasbourg sur le thème : « Justice Responsabilité Citoyenneté. Que fais-tu de ton frère ? » 180 aumôniers de Métropole et d’Outre-mer ont participé à cet événement pour réfléchir ensemble à leur ministère en prison où sans cesse l’autre dans sa nudité vient interpeler leur foi.
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Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment écrire une prière, tapie au fond de ma cellule ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment aider les gens qui disent rendre justice, pour qu’ils soient équitables ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment ne pas les juger ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment faire venir ta paix dans nos cœurs ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment exprimer nos misères sans nous plaindre ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment vivre l’amour que l’on a au-dedans de nous à l’égard de nos femmes, de nos enfants, de nos parents et de nos amis si loin de nous ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment demander pardon ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment pardonner ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment vivre dans ce lieu d’enfermement qui n’est pas le mien et qui n’est celui de personne ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment me tourner vers toi sans te demander sans cesse « pourquoi » ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment être fort ?
Dis-moi, Seigneur, mon ami, comment être joyeux quand même ?
En attendant, protège nos enfants, nos familles, nos amis, du dedans et du dehors, et je te prie de leur donner ta paix et ta joie.
Merci, Seigneur, mon ami !
Jacky
(prière dans le livret des aumôniers donné au congrès national de Lourdes 2012)
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Aumônerie
Les personnes auxquelles je rends visite en prison, sont là parce qu’elles ont quelque part transgressé des lois, c’est vrai, mais elles n’en demeurent pas moins des frères en humanité, que la vie a souvent malmenés. Dans ce lieu de surveillance, de méfiance, il nous faut, avec du temps, gagner un peu de confiance.
Écouter une personne détenue avec attention, recevoir sa parole comme elle est, avec sa brutalité, sa haine, sa dureté, sa révolte, son déni, mais aussi avec sa sensibilité, sa peine, sa détresse, sa joie, c’est considérer cette personne et lui rendre un peu de cette dignité d’homme qu’elle a perdue.
Ces discussions, ces échanges, parfois profonds, me questionnent moi aussi et m’obligent à revisiter ma foi en bousculant allègrement mes réponses toutes faites.
Bien souvent, face à des détresses, des mal être psychologiques, des déchéances, j’implore : mais Seigneur, vient là, fait quelque chose ! Et je me cogne contre la faiblesse de notre Dieu, ce Dieu qui n’est pas magique, qui est pourtant là présent dans cette misère et dans mon impuissance, alors, c’est qu’il doit quelque part l’endurer lui aussi ce mal. Mon espérance en Christ ressuscité, n’élude en rien la question du mal, mais me force à croire au-delà de tout, que cet homme, qui a parfois blessé des vies, qui se trouve là, fracassé, démoli, peut se remettre debout, et sera un jour transfiguré.
Le samedi matin, avec les détenus qui participent à la célébration, avec l’équipe de l’aumônerie, ensembles, nous présentons tous ceux que nous avons rencontrés, dans la coupe, le pain et la parole que nous partageons en une prière commune.
« Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20) et notre présence les rattache à notre Église diocésaine qui nous envoie dans ces murs.
Jean-Pierre Pinatel, aumônier bénévole |
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Savez-vous que chaque samedi matin, dans l'archiprêtré de la Bléone, se réunit pour la célébration dominicale, une toute petite communauté, une dizaine de personnes en moyenne ? Et ce n'est pas dans un lieu de culte habituel mais, comme disent certains avec humour, à la « villa Saint-Charles », en fait à la maison d'arrêt de Digne, à côté de la cathédrale Saint-Jérôme.
Certes, ce sont, comme on dit, de drôles de paroissiens et pourtant, pour moi qui suis présente chaque semaine dans la petite salle polyvalente où célèbre l'aumônier, Stéphane Ligier, je suis toujours surprise par la qualité d'écoute et le sérieux des participants .
Il faut dire aussi que le déroulement est assez inhabituel puisque, outre l'équipe de l'aumônerie catholique et son joueur d'harmonica, Chan, l'aumônier protestant participe – ce qui est encore du domaine du rêve dans de nombreuses prisons selon les équipes d'aumônerie rencontrées à Lourdes pour le Congrès national du 19 au 21 octobre - animant les chants avec sa guitare et la réflexion après les lectures.
Ces célébrations sont aussi, parfois, l'occasion pour un détenu de parler, de nier le délit, puis au fil des rencontres de revenir sur son parcours, de prendre conscience du mal provoqué, d'envisager un changement de vie à la libération mais … souvent les difficultés matérielles, le regard peu charitable des communautés paroissiales, en gros le manque d'accueil (en dehors des structures caritatives existantes) si un milieu familial bien structuré n'est pas là pour compenser, vont le renvoyer vers les chemins de traverse .
Mais je pense aussi à toutes ces personnes rencontrées à Lourdes, qui nous ont donné des nouvelles ou qui se sont renseignées sur tel ou tel, tout un réseau d'aumôniers et d'auxiliaires qui peuvent peut-être, comme le levain dans la pâte, contribuer à changer le regard que nous portons sur ceux qui sont tombés.
Dominique Monnet, auxiliaire d’aumônerie
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Aumônier Protestant des prisons depuis 28 mois et faisant partie intégrante de la communauté Protestante Mennonite de Lurs, ainsi que membre du conseil de la commission régionale JAP de Marseille.
Hindou d’origine, converti à Jésus-Christ à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui j’ai 46 ans et j’exerce mon appel (ministère) dans le milieu carcéral de la maison d’arrêt de Digne-les-Bains.
Marié et père de deux enfants avec un petit enfant Benjamin qui vient de fêter son premier anniversaire.
Mon rôle en tant qu’aumônier est, d’écouter, cheminer, accompagner et témoigner auprès des détenus, ainsi que du personnelle de la Maison-d’Arrêt.
Écouter : est le cœur de notre travail d’aumônier, écouter ceux qui vivent en prison, sans les juger. Je ne cherche pas prioritairement un sens à la peine, mais d’avoir une attitude qui permette à ses interlocuteurs de donner un sens à leur vie.
Cheminer : accepter d’apprendre sans cesse sur soi, sur l’autre, sur la société et sur Dieu.
Accompagner : c’est permettre aux personnes une vie spirituelle. Pour cela je rencontre et visite les détenus dans leurs cellules ou individuellement une ou deux fois par semaine, selon les demandes.
Témoigner : Je témoigne l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ en leur faisant découvrir la parole de Dieu .
Ce matin au culte à Lurs, il y a un ex-détenu qui nous a donné un petit témoignage. Il disait « avant de connaître Jésus je vivais dans la débauche, je vendais des produits toxiques et maintenant ma vie a changé je ne vends plus rien mais je donne gratuitement l’amour de Dieu et le message de l’évangile autour de moi». Voilà ce qui fait ma joie quand on voit que Dieu est encore capable d’accomplir des miracles en transformant un cœur.
Je remercie le Seigneur pour ce temps que nous partageons ensemble (catholiques, protestants, orthodoxes et évangéliques) autour de la table du Seigneur tous les samedis matin avec les détenus.
Dans ce lieu il y a un écho qui se fait entendre comme nous dit le psalmiste dans Le psaumes 70,6 « et moi je suis affligé et pauvre ; ô Éternel hâte-toi vers moi ! Tu es mon secours et celui qui me délivre. Éternel ne tarde pas. »
Voici les paroles des détenus qui ont cheminés avec nous durant leurs temps d’incarcération :
- « vous savez être là, à l’écoute des moindres problèmes de chacun, vous savez nous orienter vers les bonnes questions que nous devons nous poser pour arriver à sortir grandi de cette épreuve. En ce qui me concerne vous m’avez aidé à ouvrir mon cœur, à laisser Dieu entrer dans ma vie, à croire au bonheur. Merci ! » Laurent.
- « L’amour de Christ a rempli mon cœur ; du coup je ne bois plus une goutte d’alcool, j’ai aussi arrêté toute prise de drogue et la cigarette malgré toutes les propositions que j’ai eu à ma sortie car je n’ai plus ce vide que j’avais à l’intérieur de moi et malgré les problèmes que j’ai à régler je ne me suis jamais senti aussi bien. Je vous remercie pour vos prières. » Olivier.
J’aimerais terminer avec ce verset qui m’accompagne chaque jour : « Il a donné sa vie pour nous, afin de nous libérer de tout mal. Il a voulu faire de nous un peuple pur qui soit à lui, toujours prêt à faire le bien. » (Tite 2,14)
Aumônier de la Maison-d’Arrêt de Digne-les-Bains.
M. Chunwan Chan.
La commission « Justice Aumônerie des Prisons » (JAP) a une double responsabilité : réfléchir aux questions de justice avec des personnes qualifiées d’Églises diverses en France et gérer et animer un service d’aumônerie protestante avec le concours d’aumôniers issus des diverses Églises de la Fédération, dans les prisons à travers neuf régions animées par l’aumônier régional et des commissions régionales (plus les régions d’Outre-Mer)
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