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Ecclesia 04, 28 septembre 2008,
Homélie de la « Messe des nations »
Jean 21, 1-19
Nous voici après Pâques, dans la lumière de l’Evénement de la Mort et de la Résurrection de Jésus-Christ, notre Seigneur. Avec ses disciples, nous voici en Galilée, là où « Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord du lac de Tibériade ».
Le site est familier aux Apôtres, premiers disciples. Que de souvenirs y sont attachés : leur premier appel, les enseignements de Jésus, la marche sur les eaux, la tempête apaisée, la pêche miraculeuse, la multiplication des pains… Les Apôtres-disciples sont revenus là après les événements de Jérusalem, parce que Jésus ressuscité leur a dit qu’il les précéderait en Galilée. C’est pour eux, et pour nous avec eux, comme un retour aux sources de l’appel mais aussi une attente… Simon-Pierre prend l’initiative de partir à la pêche avec ses amis. Il est le chef reconnu. Les autres disent : « Nous allons avec toi ». Or, comme il y a deux ans de cela, « ils passent la nuit sans rien prendre ». Mais aujourd’hui, Jésus n’est plus là ! Serait-il mort pour toujours ? Or voilà que ce retour de pêche infructueuse est le moment choisi par le Christ ressuscité pour les rejoindre et nous rejoindre, « au lever du jour », comme un matin de Résurrection. « Il est là sur le rivage ». Les Apôtres-disciples ne le reconnaissent pas tout d’abord : ils ne voient, dans le brume, qu’un inconnu qui leur fait une demande : « Auriez-vous un peu de poisson ? ». Force leur est d’avouer leur échec de la nuit : « Non », répondent-ils. C’est notre réponse aussi. Sûr de lui, l’inconnu leur dit alors : « Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez ». Ils le jettent donc et ils ne parviennent plus à le relever tant il est plein de poissons. Le miracle est là, dans sa simplicité bouleversante, exactement comme lors de cette première pêche miraculeuse sur ce même lac, peu après la première rencontre avec Jésus. C’est que le Ressuscité de Pâques veut maintenant renouer avec eux le fil (ou le filet) apparemment rompu par sa Mort du Vendredi : c’est bien Lui, le même Jésus. Avec Lui, c’est la même pêche miraculeuse, plus abondante encore… Mais, « les cœurs sont lents à croire » (Lc 24,25).
Ce filet qui se déploie sous nos yeux a été trouvé sur les bords de ce même lac de Tibériade par des pèlerins de notre diocèse qui l’ont récemment rapporté pour nous dans leur bagage…Merci à eux !
Soudain, voyant les mailles du filet plein, en un éclair intérieur, « le disciple que Jésus aimait » reconnaît « le Seigneur » ! Comme devant le tombeau vide, l’amour ouvre les yeux : « il vit et il crut » (Jn 20,8). Avec lui, nous croyons ! Avant même le miracle, il avait déjà pressenti son Maître à la façon dont il a guidé le lancer du filet. Pierre comprend lui aussi alors grâce à l’intuition spirituelle de son ami. Il ajuste aussitôt son vêtement et « se jette à l’eau ». Il s’élance, les yeux fixés sur son Seigneur retrouvé. Filet, poissons, barque, amis, rien ne compte plus que de Le rejoindre sur sa rive.
Jésus a déjà apprêté du poisson sur la braise. Pourquoi donc demande-t-il alors à ses disciples-Apôtres de lui apporter de ce poisson qu’ils viennent de prendre ? C’est qu’il désire désormais que ce soient eux maintenant qui prennent d’autres poissons, qu’ils soient vraiment des « pêcheurs d’hommes » (Mc 1,17). C’est désormais la mission de l’Eglise après la Résurrection de son Seigneur. Et c’est Simon-Pierre qui, désormais, va guider la barque et diriger la récolte. Grâce à l’amour échangé par trois fois pour effacer le triple reniement, Pierre sera « le berger » des brebis du Seigneur et ses successeurs comme lui, et les évêques avec le successeur de Pierre, les Apôtres d’hier et d’aujourd’hui.
Il ne paraît pas douteux que, dans la pensée de l’évangéliste inspirée par l’Esprit de Jésus, cette seconde pêche miraculeuse constitue une parabole de la mission de l’Eglise du Ressuscité, de la mission de ses disciples, avec Pierre, au long des siècles. Rien désormais ne se fera plus et ne se fait dans l’Eglise sans la Parole évangélique et la présence, obscure mais active, du Seigneur ressuscité. Sans Lui, les disciples peinent dans la nuit, en vain. Mais, sur sa Parole, « au lever du jour », le filet est plein de « cent cinquante trois gros poissons » ! Le chiffre de 153 n’est pas là par hasard : il signifie les 153 espèces de poissons dénombrées alors, c’est-à-dire, symboliquement, toutes les races humaines, le monde entier. Ce sont désormais les mers et les rivages du monde qui seront le champ de la mission chrétienne : une « messe des nations » !
Et, malgré cette diversité universelle, « le filet ne se déchire pas », comme ne fut pas déchirée, au pied de la Croix, la tunique de Jésus, « tunique sans couture, tissée d’une seule pièce » (Jn 19, 23-24) : symbole de l’unité de l’Eglise acquise par la mort de Jésus et sans cesse à tisser. Et le lieu où se constitue cette unité de l’Eglise, c’est le repas où le Christ ressuscité invite tous ses disciples de partout et de tous les temps. « Venez manger, dit-il à ses disciples. Il s’approche, prend le pain et le leur donne » : ce sont les paroles et les gestes de l’Eucharistie, de nos messes, de ce rassemblement de fête des nations.
Ainsi, aujourd’hui, c’est opportunément tout le mystère de l’Eglise, de l’Eglise du Seigneur, de notre Eglise, qui est richement signifié par la simplicité de cette scène évangélique. Nous sommes l’Eglise de Pâques, vivifiée par la présence du Ressuscité, assurée en sa Parole, nourrie de son Pain de Vie ! Nous sommes une Eglise missionnaire dans le monde de notre temps, animée par le Souffle de l’Esprit du Ressuscité ! Nous sommes une Eglise eucharistique qui, chaque fois qu’elle reçoit le Corps de son Seigneur Jésus, proclame sa Mort, célèbre sa Résurrection, jusqu’à ce qu’Il revienne ramasser lui-même définitivement le filet plein de poissons sur les rivages de l’éternité bienheureuse dans le Royaume de Dieu !
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