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Ecclesia 04 – Digne, samedi 27 septembre 2007 Lectio divina sur Jn 21,1-14 par Luciano Manicardi, moine de Bose Introduction L'évangile selon Jean nous a présenté, au chapitre 20, le récit de Jésus qui, après sa mort en croix – mort glorieuse parce que marquée de la gloire de l'amour –, s'est montré vivant, le premier jour de la semaine, à Marie de Magdala (voir Jn 20,11-18), puis aux disciples réunis ensemble (voir Jn 20,19-23), et de nouveau « huit jours plus tard » aux disciples avec lesquels se trouvait également Thomas (voir Jn 20,26-29). Mais l'épilogue, que la communauté du disciple bien-aimé a ajouté plus tard à l'évangile, le chapitre 21 que nous avons écouté, nous relate une autre rencontre de Jésus avec les siens, à la mer de Tibériade. Le texte dit: « Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade » (Jn 21,1). Dans ce passage, plus qu'à une apparition de Jésus ressuscité, on assiste à la résurrection des disciples. Dans le récit en effet, le passage de la nuit au matin, et donc des ténèbres à la lumière, est accompagné d'un autre passage décisif: celui de l'ignorance (« Les disciples ne savaient pas que c'était Jésus »: Jn 21,4) à la connaissance de Jésus (« Ils savaient que c'était le Seigneur »: Jn 21,12). Si cela représente la transformation fondamentale, nous pouvons également lire à cette lumière le passage de la pêche infructueuse (« Cette nuit-là ils ne prirent rien »: Jn 21,3) à la pêche abondante (« Ils jetèrent le filet et n'avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons »: Jn 21,6) et celui de l'absence de nourriture (voir Jn 21,5) à la participation au repas préparé par Jésus lui-même (voir Jn 21,9-12).
1. « Cette nuit-là, ils ne prient rien » Mais, plus profondément, que nous dit ce récit? Les disciples ont déjà rencontré le Seigneur ressuscité à Jérusalem, par deux fois, le premier jour de la semaine; et malgré ces confirmations de la résurrection, il semble qu'ils aient encore besoin de le rencontrer, car la foi n'est jamais acquise une fois pour toutes; c'est toujours un événement, une histoire en devenir, qui peut connaître une croissance, mais aussi des oppositions et des régressions, qui risquent de rendre vaines les expériences de foi vécues auparavant… Sur la mer de Galilée, nous trouvons Simon Pierre, Thomas, celui qui avait confessé Jésus comme « mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28), Nathanaël, qui avait affirmé: « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël » (Jn 1,49), les fils de Zébédée et d'autres disciples anonymes. Donc : des différents histoires et biographies, des différentes manières de vivre la foi appelées à devenir une communion. Le jour n'est pas précisé; le texte dit seulement que ces disciples étaient au nombre de sept: ils apparaissent ainsi comme une communauté dont le nombre indique la totalité et l'universalité. Simon Pierre prend alors l'initiative de la pêche et les autres décident de le suivre, de participer à cette entreprise qui représente de cette façon la mission de la communauté. Avec décision et conviction, ils affirment: « Nous venons, nous aussi, avec toi » (Jn 21,3). Tous sortent donc en mer, mais « cette nuit-là, ils ne prirent rien » (ibid.)… Après cette pêche infructueuse, les disciples s'apprêtent en conséquence à retourner vers la plage, « le matin déjà venu » (Jn 21,4). Or sur la plage se trouve Jésus, même si les disciples ne le reconnaissent pas: comme Marie de Magdala, ils le rencontrent sans savoir que c'est lui (voir Jn 20,14), comme les disciples d'Emmaüs, ils cheminent avec lui sans le reconnaître (voir Lc 24,13-35). Et voici que Jésus prend l'initiative et demande: « Petits enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson à manger? » (Jn 21,5). Il s'adresse à eux en ayant recours à un appellatif affectueux, tout à la fois paternel et maternel – teknía, « petits enfants » –; c'est comme s'il leur disait: « Ne craignez pas, je ne vous ai pas laissés orphelins, ni privés de ma présence ». Il accomplit ainsi la promesse qu'il avait faite à l'occasion des discours d'adieu, quand il leur avait dit: « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je reviendrai vers vous » (Jn 14,18). Jésus est le même, mais il est également différent; c'est la raison pour laquelle les disciples ne le reconnaissent pas et lui répondent laconiquement: « Non, nous n'avons rien! » (Jn 21,5). Ils confessent de cette manière leur manque, leur pauvreté, la situation négative, sans issue dans laquelle ils se trouvent immergés…
2. « C'est le Seigneur » À ce stade, Jésus sollicite encore les disciples: « Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez » (Jn 21,6). Ce sont des mots qui exigent la foi, l'obéissance prompte; c'est un commandement et une promesse à laquelle Pierre et ses compagnons adhèrent aussitôt. Et tout juste après avoir exécuté l'ordre, voici que le filet se remplit démesurément de poissons. Mais eux sont à nouveau victimes de leur faiblesse et de leur pauvreté: « Ils n'avaient plus la force de le tirer » (ibid.). C'est alors que le disciple bien-aimé, celui qui à la seule vue de la tombe vide avait cru (voir Jn 20,8), reconnaît dans cet événement l'action et le style de Jésus, et dit aussitôt à Pierre, et avec Pierre, à tous les autres disciples: « Ho Kýrios estin! C'est le Seigneur! » (Jn 21,7). Le disciple bien-aimé, le croyant qui a l'expérience de l'amour du Seigneur, celui qui a posé sa tête sur le sein de Jésus, comme pour se mettre à l'écoute de son amour (voir Jn 13,23-25), sait lire les signes et devient capable de reconnaître Jésus, en répondant par l'amour à son amour prévenant: « C'est le Seigneur! ». Cette exclamation manifeste le discernement et la sensibilité spirituelle du disciple bien-aimé et révèle une qualité que tout chrétien est appelé à faire sienne: reconnaître la présence du Ressuscité dans le quotidien. « Le disciple bien-aimé dit à Pierre: C'est le Seigneur! » (Jn 21,7). Il s'agit d'une communication de foi, d'un partage des dons spirituels: le disciple bien-aimé ne garde pas jalousement pour soi sa découverte de foi, mais il en fait don aux autres, qui y ont ainsi part. Dans notre cheminement de foi, nous avons besoin les uns des autres, et nous sommes débiteurs les uns des autres; nous sommes appelés à l'échange des dons, qui édifie la communion ecclésiale. La richesse humaine et la richesse de foi obtiennent leur valeur lorsqu'elle sont partagées. Et ceci vaut également au niveau œcuménique, où les différentes Églises sont appelées à se communiquer les unes aux autres leurs richesses, pour que l'unique Église du Christ puisse resplendir dans toute sa beauté polychrome et que sa mission dans le monde puisse être féconde par la puissance du Christ ressuscité. Nous savons bien, en effet, que les figures de Pierre et du disciple bien-aimé, dans cette page ajoutée au IVe Évangile, ont aussi une portée ecclésiologique et qu'elles renvoient, l'une (Pierre), à la grande Église qui trouve dans les Synoptiques son Évangile et à Rome son centre d'irradiation; l'autre (le disciple bien-aimé) à l'Église d'Asie Mineure, qui a pour centre Éphèse et trouve dans le IVe Évangile son témoignage évangélique fondateur. Oui, nous sommes conduits par ce texte à contempler la barque de l'Église au milieu des flots de l'histoire, à mettre en compte aussi la possibilité de missions sans fruit, d'évangélisations sans résultat; mais en même temps, cette page nous pousse à croire que, si la mission se fait par obéissance au Seigneur, dans la docilité à ses indications et en recherchant sa volonté, alors une abondance de fruits est donnée et l'on devient véritablement « pêcheurs d'hommes » (Mc 1,17; Mt 4,19). Et forts de cette certitude, nous pouvons alors proclamer avec joie: « C'est le Seigneur! », c'est-à-dire: « Le Seigneur ressuscité est au milieu de nous, il est présent aujourd'hui encore et il œuvre avec nous »… C'est à Pierre – disions-nous – que le disciple bien-aimé indique le Seigneur: Pierre qui, tout en ayant la tâche de guider la pêche, n'a pas été suffisamment attentif aux signes de cette aube. Il sait toutefois obéir aux indications du disciple bien-aimé, « celui qui demeure » – comme Jésus le définira immédiatement après (voir Jn 21, 22-23) –, et, dans sa nudité, se jette à la mer, comme s'il voulait être immergé et relevé de l'eau en créature nouvelle (Jn 21,7).
3. « Jésus vient, il prend le pain et le leur donne » Tandis que Pierre est encore plongé dans les eaux de la renaissance, les autres disciples tirent alors le filet plein de poissons sur la plage (voir Jn 21,8): ils sont attirés par Jésus qui, au bord de la mer, se tient à proximité d'un feu de braise sur lequel sont placés du pain et des poissons (Jn 21,9). On trouve là, à côté de Jésus, la nourriture qu'il avait distribuée lorsque, à l'occasion de sa deuxième Pâque, il avait multiplié les pains et les poissons (voir Jn 6,9-11). C'est ce pain-là que Jésus avait identifié avec « sa chair donnée pour la vie du monde » (voir Jn 6,51): oui, Jésus se donne lui-même; c'est lui qui prépare le repas, qui prépare la table; c'est lui qui offre la nourriture, qui donne la vie: il est la présence toujours prévenante! Comme Jésus demande à ses disciples d'apporter également le poisson qu'ils viennent de prendre, c'est Pierre, ressorti de l'eau, qui exécute l'ordre et « tire à terre le filet, plein de gros poissons: cent cinquante-trois en tout » (Jn 21,11). Dans la prophétie sur le temple eschatologique, Ézéchiel avait contemplé du côté droit du temple des eaux poissonneuses et sur les rives d'En-Eglayim une étendue de filets (voir Ez 47,1.8-10). Peut-être l'annotation des cent cinquante-trois gros poissons renvoie-t-elle à ce passage, car le calcul numérique des lettres hébraïques qui composent le toponyme d'En-Eglayim (ce qu'on appelle la guématrie), produit précisément le résultat de cent cinquante-trois. Nous serions ainsi amenés à la vision de l'Église comme temple eschatologique, de la communauté chrétienne comme lieu de la mission universelle et de la présence de Dieu manifestée par le Ressuscité. Mais selon saint Jérôme, d'autre part, les cent cinquante-trois poissons symboliseraient tous les peuples de la terre, puisqu'il s'agit là du nombre d'espèces de poissons marins existantes. Quoi qu'il en soit, ce qui est évoqué ici est l'universalité de la mission de l'Église et l'universalité du rassemblement des hommes autour du Ressuscité et de sa communauté. « Et quoi qu'il y eût tant de poissons, le filet ne se déchira pas » (Jn 21,11): cette remarque, insérée comme un sceau de la part de la communauté du disciple bien-aimé, est splendide. Non, le filet ne se déchira pas, pour la première génération chrétienne, dans la communion vécue entre la grande Église de Pierre et l'Église du disciple bien-aimé, capables de confesser ensemble le Christ Ressuscité. Mais malheureusement, nous savons bien que ce filet se déchirera plus tard… Depuis lors, s'engager dans la mission signifie avant tout œuvrer et prier pour le rétablissement de l'unité et de la communion visible entre les Églises. Désormais tous les disciples présents sur la rive sont conscients que le Seigneur est au milieu d'eux, de sorte que personne ne lui demande: « Qui es-tu? » (Jn 21,12). Dès lors, après les avoir invités à manger, Jésus s'approche – littéralement, il « vient » (érchetai: Jn 21,13): c'est le même verbe qui est employé pour évoquer les manifestations du Ressuscité en Jn 20,19.26 – et il accomplit le geste eucharistique (« il prit le pain et le leur donna »: voir Mc 14,22 et parallèles; 1Co 11,24). Ainsi les disciples vont jusqu'à être « incorporés au lógos »: ils ne forment qu'un seul corps avec Jésus. Pour cette raison, Jésus s'abstient de manger, car c'est lui la véritable nourriture dont le pain qu'il offre n'est que le signe! Ainsi « l'eucharistie célèbre la relation entre les disciples et le Seigneur Jésus, l'eucharistie fait la communauté, l'Église, et la communauté fait l'eucharistie » (Henri de Lubac).
Conclusion Cette rencontre dont Jn 21 fait le récit nous révèle donc que le Seigneur est unique, que l'eucharistie est unique, que la foi-connaissance du Seigneur Jésus est unique! C'est à ces conditions que la mission de l'Église est fructueuse: lorsqu'elle est guidée par Pierre, par obéissance au commandement du Seigneur, reconnu vivant grâce à la contemplation qui est écoute et capacité de conserver son amour dans le cœur. Une telle mission nous concerne et nous interpelle tous, aujourd'hui encore. C'est une mission humble, qui exige de nous comme Église, comme communautés chrétiennes, et non seulement comme individus, que nous reconnaissions modestement que sans lui, le Seigneur, nous ne pouvons rien faire (voir Jn 15,5).
(Traduction de l'italien par Matthias Wirz)
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