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Si l’on veut développer une spiritualité mariale à partir des écrits de Saint Paul, on sera tout d’abord très déçu ! Il n’y a, dans toutes les Epîtres de l’Apôtre, qu’un seul passage qui parle de la mère de Jésus ! Le voici, dans l’Epître aux Galates (4, 4-5) : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils : il est né d’une femme, il a été sous la domination de la Loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils ».
Pas question ici du nom de « Marie » ni directement du mystère de sa conception virginale. L’expression « né d’une femme » est surprenante et destinée à la réflexion dans une perspective qui est celle de l’œuvre du salut opérée par Dieu-Père qui donne son Esprit par son Fils.
Jésus, emploiera, au sujet de sa mère, cette expression de « femme » à deux reprises, selon l’Evangile de Jean. A Cana, il dit à sa mère qui lui fait une demande : « Femme, que me veux-tu ? Mon Heure n’est pas encore venue ! » (2,4). Et, quand sera venue l’Heure de sa Mort sur la Croix, Jésus dira, en montrant à Marie le disciple qu’il aimait : « Femme, voici ton fils ! » (19,26). Des commentateurs avisés pensent que l’évangéliste aurait vu théologiquement en Marie la nouvelle Eve, en parallèle à celle du Livre de la Genèse quand Dieu crée et quand l’homme découvre celle qu’on « appellera femme » (2, 23) et à qui il donnera « le nom d’Eve, c’est-à-dire la Vivante, car c’est elle qui a été la mère de tout vivant » (3,20).
Etant donné l’importance théologique que Paul donne aux chapitres 2 et 3 de la Genèse (cf. surtout l’Epître aux Romains au chapitre 8), la « femme » de Galates 4,4 semble évoquer « Eve », la femme à qui est promise une descendance innombrable, le peuple des « fils » dans « le Fils ».
En ce passage de l’Epître aux Galates, le parallélisme entre l’expression « né d’une femme » et celle «né sous la Loi » manifeste d’abord que Paul a d’abord en vue la précarité de l’existence que le Christ assume pour nous sauver. Comme dans l’Hymne de l’Epître aux Philippiens : « Il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes » (Ph 2,7) ou encore dans l’Epître aux Hébreux : « Puisque les enfants ont en commun le sang et la chair, lui aussi, pareillement, partagea la même condition » (He 2,14). Le mouvement de la pensée théologique de Paul consiste d’abord à mettre l’envoi du Fils dans le monde en relation avec le désir de Dieu de sauver tous les hommes et de donner son Esprit pour « faire de nous des fils ». La suite du texte le dit fortement : « Et voici la preuve que vous êtes des fils : envoyé par Dieu, l’Esprit de son Fils est dans nos cœurs et il crie vers le Père en l’appelant : Abba ! Ainsi tu n’es plus esclave mais fils, tu es héritier par la grâce de Dieu » (Ga 4, 6-7).
Il me semble que si l’on veut honorer Marie, la mère de Dieu et notre mère, dans la perspective de Saint Paul, il nous faut la situer dans le dessein total de Dieu en vue du salut du monde et dans le peuple de Dieu. Ce qui n’est pas diminuer son rôle mais lui donner sa pleine dimension de « femme », Nouvelle Eve, notre « mère » et celle de tous les vivants. Elle est la première et la matrice du peuple de fils que Dieu s’est acquis par son Fils et dans son Esprit.
Alors nous pourrons la vénérer, avec justesse, lors de la fête de son Assomption le texte de l’Apocalypse (12, 1 et 6) : « Dans le ciel, apparut un signe grandiose : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles… Là, Dieu lui a préparé une place ! ». Il s’agit d’elle ; il s’agit de nous !
+ François-Xavier Loizeau, évêque de Digne
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