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Dans la lumière de la fête de la Toussaint, nous avons fait mémoire et prié pour celles et ceux, parents et amis, que nous avons connus et aimés et qui ont fermé les yeux sur cette terre, afin qu'ils soient pleinement associés au bonheur de contempler Dieu face à face. La prière pour les défunts est un témoignage de l’affection, le plus précieux, que nous leur portons, avec d'autres signes, comme les fleurs que nous pouvons porter sur leurs tombes. La prière pour les défunts, qui trouve son origine dans l'Ecriture, fait partie de la plus ancienne tradition de l'Eglise et participe de la Communion des Saints, c'est à dire la communion de vie et d'amour qui existe entre nous et ceux qui nous ont précédés. Il y a, dans le Christ, une solidarité ! Quel que soit l’âge à laquelle elle intervient la mort est toujours l’irruption de l’absurde qui déchire l’amour. Elle sépare, et parfois subitement, les êtres qui s’aiment le plus au monde. Nous voyons disparaître, les uns après les autres, des visages, des sourires que nous avons tant aimés, qui nous ont permis de grandir, il nous faut lâcher des mains si souvent et si souvent étreintes qui nous ont aidés à nous relever, à avancer.
Face à la souffrance et à la mort qui nous atteignent, nous chrétiens nous sommes invités à contempler le Christ-Jésus en sa vie, en ses paroles et en ses actes. Jésus lui-même n’est pas venu expliquer la souffrance mais la remplir de sa présence. Tout son ministère, sa vie parmi nous, ont été de se faire proche. Proche de celles et ceux qui souffraient. Si le Christ pouvait convertir l’image que nous nous faisons spontanément de Dieu : un Dieu lointain, plus ou moins indifférent ou impassible là-haut dans son ciel. Or Dieu est toujours là où est l’homme. Je ne puis oublier qu’il a pleuré devant la tombe de son ami Lazare. On ne peut pas dire qu’on aime quelqu’un tant qu’on le laisse seul face à sa souffrance et à sa mort. Jésus nous a prouvé en actes ce qu’aimer voulait dire. La parole qui dit l’amour n’est pas celle qui en parle mais celle qui le vit. La mort de Jésus sur la croix c’est la plus grande preuve de solidarité avec ma souffrance et ma mort. C’est en contemplant une croix que l’agnostique Péguy s’est converti et il affirmera un jour : « Vous pourrez faire tous les reproches à Dieu et Dieu est prêt à entendre tous vos cris de révolte contre lui, le seul cri qu’il ne puisse plus entendre de votre bouche depuis qu’il est mort pour vous, c’est que vous puissiez lui dire : Seigneur tu ignores ce qu’est notre souffrance et notre mort ». Cette souffrance et cette mort, il les a partagées ; il les a pris à bras le corps par amour et solidarité. La mort ne pouvait le garder en ses liens. L’amour est toujours fécond, source et origine de la vie. A l’origine d’une naissance il y a normalement un acte d’amour. Une telle manière de mourir en se livrant ainsi pour nous ne pouvait que produire la vie. C’est cela la Résurrection de Jésus : la vie qui triomphe de la mort, la lumière qui triomphe des ténèbres, l’amour qui triomphe de la haine. La Résurrection de Jésus est une brèche de lumière dans le mur noir de la mort. Pour nous chrétiens, la mort n’est pas moins douloureuse et révoltante que pour les autres mais pour nous elle n’est pas point final au bas de la page de nos existences humaines. Elle est passage, en langage chrétien on dit Pâques, passage de cette existence éphémère et passagère à la vie qui ne doit plus connaître ni deuil, ni larmes, ni douleur. La mort pour un chrétien est naissance à cette vie plus forte que la mort que Jésus a inauguré au jour de Pâques. Mais vous le savez, aucune naissance ne se fait sans douleur. Toute notre existence est parsemée de passages, de morts, de rupture d’avec le passé nous conduisant vers du neuf : passage du sein maternel à la lumière du jour, de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à la vie adulte. Passages parfois, souvent difficiles et douloureux, conduisant vers un monde inconnu mais toujours meilleur. L’amour que Dieu nous porte est source de vie. Par le baptême nous avons été gravés sur la paume de ses mains, posés comme un sceau sur son cœur ; rien, jamais, pas même la mort ne nous arrachera de son amour. La mort d’un être cher interroge notre façon de vivre. Au soir de notre existence, notre vie ne vaudra pas son pesant d’or mais son poids d’amour et c’est sur l’amour que nous serons jugés : amour de Dieu, amour de nos frères. Celui qui aime passe déjà de la mort à la vie. Seul l’amour humanise, seul l’amour divinise, seul l’amour ouvre un avenir. Aimer c’est déjà ressusciter et vivre dans la lumière, afin de naître un jour à l’éclatante et définitive lumière de Dieu qui nous illuminera de bonheur et d’amour éternellement. Il n’y a pas de séparation étanche entre ces deux rives que sont le ciel et la terre. La rive sur laquelle parviennent ceux qui quittent ce monde, n’est rien d’autre que le cœur de Dieu ; c’est un cœur vaste et bon comme celui d’un Père ; là ils y retrouvent celles et ceux qu’ils ont aimés sur cette terre. Ne pleurons pas d’abord de les avoir perdus, rendons-grâce surtout de les avoir connus et d’avoir partagé avec eux le chemin de la vie. Prions pour qu'ils soient associés pleinement à la victoire de Jésus sur la mort; que la miséricorde de Dieu les purifie pour qu'ils le contemplent face à face. Et puis, chaque fois que nous nous tournerons vers le cœur de Dieu, nous serons en communion avec eux, jusqu’au jour où nous serons rendus les uns aux autres. Les séparations ne sont que provisoires ; elles sont des rendez-vous pour l’éternité.
P. Christophe Disdier-Chave,
vicaire général
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