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LA
BEAUTE CHRETIENNE DU DIMANCHE A LA LUMIERE DU SHABBAT JUIF .
En
cette période de débat social et économique
sur le dimanche (travail,…), et de choix politiques,
n’est-il pas opportun de prendre en considération
la beauté du Dimanche à la
lumière du Shabbat juif ?
Père
Pierre Fournier ( Gap )
Quand
le Dimanche est une « quasi-personne » ?….
Dans
la foi chrétienne, le Dimanche n’est
pas un jour comme les autres ! Il n’est pas
seulement un jour qui fait nombre avec les autres jours,
dans la banale énumération du lundi, mardi,….
Il n’est pas seulement une réalité chronologique
de 24 h. Le Dimanche est à part. Il a comme une
personnalité propre, un « tempérament
spirituel ». Au fond, le Dimanche est presque
quelqu’un ! Il est une quasi-personne. En ce
sens, nous pouvons écrire le mot avec une majuscule : « Dimanche ».
Dans
sa très belle Lettre apostolique « Le
Jour du Seigneur » (1), Jean-Paul II
présente les diverses harmoniques du Dimanche :
Jour du Seigneur, du Créateur ; Jour du Christ
Ressuscité et du don de l’Esprit Saint ;
Jour de l’Assemblée de l’Eglise (Eucharistie,..) ;
le Jour de l’homme (joie, repos, solidarité) ;
le Jour des jours (le sens
du temps). C’est dire la richesse de signification du
Dimanche.
Le
Shabbat juif : joyeux de l’attente de la joie
des Noces du Messie !
Pour
comprendre le sens profond du Dimanche, il est bon de nous
référer à la conception juive du Shabbat.
Tout d’abord, nous remarquons qu’en hébreu
moderne, à part de Dimanche (yom rishon) (2) et le samedi
(shabbat), les jours n’ont pas de nom particulier, mais
simplement un n°. Le lundi : jour 2. Mardi :
jour 3, etc. Le vendredi (yom ha shishi) : jour 6. Justement,
le jour qui a un nom éminent est le « Shabbat » : « le
Jour du Repos (de Dieu) ». Il est le « jour
saint» qui reçoit la bénédiction
même de Dieu (Gen
2,3). Il est « une
journée exquise, un Jour
respectable, consacré au Seigneur » (Isaïe
58,13-14). Bien plus, le Shabbat est considéré,
dans le judaïsme, comme une personne vivante (3). Dès
lors, le Shabbat doit être compris à partir de
la réalité fondamentale biblique : Dieu
a créé l’être humain selon le couple. « Au
Commencement, Dieu créa l’homme (l’humain,
l’adam) à son
image. Il les créa homme et femme... L’homme quittera
son père et sa mère. Il s’attachera à sa
femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Gen
1,26-28 ; 2,24).
De
la même manière, les jours participent à la
réalité conjugale. Le Dieu Créateur engage
une Alliance nuptiale avec son Peuple (cf Isaïe 61,4-5 ;
Osée, ..). Dans ce climat nuptial, les jours sont « en
couple », deux à deux : le dimanche
avec le lundi, le mardi avec le mercredi, le jeudi avec le
vendredi. Mais alors, le jour du Shabbat va-t-il demeurer seul ?
exclu de la symbolique nuptiale ? Le Shabbat serait un
jour hors sens « absurde »….Mais
Dieu va faire le maximum : Il va prévoir la célébration
des Noces du Shabbat avec le Messie qu’il enverra !
Désormais, chaque vendredi soir, c’est la fervente
espérance de la venue du Messie qui épousera
la « Fiancée
(ou la Princesse) Shabbat » (4). A la
synagogue, à la festive célébration de
l’entrée en Shabbat, la liturgie prend une intensité étonnante
avec le chant très mélodieux et rythmé « Lekha
Dôdi » : « Viens,
mon Bien-Aimé, au-devant de ta fiancé !....Viens,
ma fiancée, viens ! ». Le
Shabbat est la Fiancée en personne qui aspire ardemment à la
joie d’accueillir le Bien-Aimé. Durant le Shabbat
règne un supplément d’âme. A la célébration
de la clôture si importante du Shabbat (la Havdala),
la communauté juive prend congé de la « Princesse
Shabbat » à la synagogue, puis à la
maison. Pour se consoler de cette séparation, on respire
des parfums. Avec des chants, on prend une collation appelée « Melavé Malka » « pour
raccompagner la Princesse Shabbat» (5).
Pour le couple, la rencontre amoureuse du soir est à l’image
de ce qu’est le Shabbat : don de Dieu et réciprocité d’amour.
Ainsi, le Shabbat est-il un Jour qui vibre de cet amour, divin
et humain, pétri de joie, d’enthousiasme de l’attente
du Messie. Le Messie va venir « à la
rencontre de la Princesse Shabbat ».
Le
Dimanche chrétien rayonne de la célébration
des Noces du Christ.
Dans
cette perspective, Jean-Paul
II se plaît à rappeler le sens du chant juif « Lekha
Dôdi » (6). Il présente
volontiers le Dimanche comme un « Jour nuptial ».
En cela, le Dimanche s’intègre à l’ensemble de
la Première et de la Nouvelle Alliance dont « il
faut saisir l’intensité sponsale » (7).
Dans les Evangiles, Jésus est identifié comme « l’Epoux
qui est là ! » (Jn 3,29)
(8). Le Dieu Père célèbre les Noces du
Christ Epoux avec l’Eglise, figure de l’humanité.
Nous entendons ici la parabole de Jésus : le Maître
a préparé un grand festin pour les Noces de son
fils (Mt 25). Saint Paul a souligné l’importance
de la relation d’amour entre le Christ et l’Eglise
comme la relation d’époux à épouse
(Eph 5, 25-28). La Bible se termine par la vision eschatologique
de l’Apocalypse. C’est un Dimanche, « le
Jour du Seigneur » (Ap 1,10), que le
Seigneur donne à Jean la Révélation du « Ciel
nouveau et de la Terre nouvelle » (Ap 21). Le monde
futur sera animé par la grande Fête où Dieu
célèbre les Noces de son Fils, les « Noces
de l’Agneau » (Ap 19). Le Christ qui est « le
Commencement et la Fin, l’Alpha et l’Oméga » (Ap
1,17; 22,13) est l’Epoux manifesté à tous.
Parmi
tous les signes de ces « épousailles » du
Christ avec l’Eglise, l’Eucharistie est le sacrement
par excellence de l’ « Alliance
(nuptiale) nouvelle et éternelle » du
Christ avec l’Eglise. Comme les époux se donnent
l’un à l’autre totalement, le Christ se
donne radicalement : « Corps
livré et Sang versé pour vous et la multitude
en signe de l’Alliance ». Après
la Consécration, l’appel au Christ est chanté : « Viens,
Seigneur Jésus ! ». Telle
est la reprise de l’appel, à la fin de l’Apocalypse : « l’Esprit
et l’Epouse disent : Viens, Seigneur Jésus ! ». Au
moment de la Communion est
proclamée la parole de l’Apocalypse lors du Chant
des Noces : « Heureux
les invités au repas (des Noces) du Seigneur !» (Ap
19,9).
Dans
la perspective de la foi chrétienne, le Dimanche est
le « Jour » par excellence ! « C’est
la Personne du Dieu
de Jésus-Christ qui remplit et spiritualise le Dimanche » (9).
Celui-ci est marqué par une vraie vocation et mission.
Dans le don de l’Esprit Saint, il ne cesse de nous dire
la Rencontre avec Jésus le Messie Epoux de l’humanité pour
la rassembler dans le Royaume du Père.
Père
Pierre Fournier.
(1)
Jean-Paul II « Le
Jour du Seigneur. La sanctification du Dimanche »,
coéd. Cerf-Bayard-Mame, 1998, ou Documentation
Catholique, 1998, n° 2186. Par ailleurs, sur
le sens du Dimanche, Catéchisme
de l’Eglise Catholique, 1998, § 1166
sq, 1175, 2174 sq, etc. Joseph Ratzinger Benoît
XVI, dans « Jésus
de Nazareth », éd. Flammarion,
2007, aborde la question de « la
querelle du sabbat » dans les Evangiles,
p. 128-134.
(2)
Le dimanche : yom rishon, de « rosh, tête »,
c’est-à-dire, le jour en tête de la semaine.
L’expression « Jour 1 ; yom hérad » est
réservé, en Gn 1,5 au « Premier Jour » de
la Création.
(3)
cf E. Gugenheim « Le
Judaïsme dans la vie quotidienne », éd.
A. Michel, 1961, 206 p. Sur le Shabbat (p.74-86) considéré comme
une personne, comme la Bien-Aimée : p.77, 78,..
Voir aussi R.Aron, A.Néher, V.Malka, « Le
Judaïsme, hier, demain », éd.
Buchet-Chastel, 1977, 238 p., sur le shabbat, p. 83 (à propos
de la « litanie amoureuse » du chant
Lékha Dôdi, etc. Ou Centre National de l’Enseignement
Religieux, « A
l’écoute du Judaïsme », éd.
Chalet, 1977. p. 39 sv, 53,.. : « Comment
le juif vit le shabbat »,..
(4) E.
Gugenheim, ibid., p 78.
(5) E.
Gugenheim, ibid. p. 86.
(6)
Jean-Paul II, . « Le
Jour du Seigneur », n.12 : « Le
shabbat est vécu par nos frères juifs selon une
spiritualité ‘sponsale’…Le chant ‘Lekha
Dôdi’ est
aussi de tonalité sponsale.. ». Certes,
le cantique Lékha
Dôdi date du XVI° s, composé, à Safed,
par Salomon Alkabetz, mais, remarque E. Gugenheim, « il
a été rapidement adopté dans toutes
les communautés d’Israël »,
car il exprime bien l’intuition de la personnalisation
du Shabbat.
(7)
Jean-Paul II « Le
Jour du Seigneur » § 12.
(8) Jésus,
l’Epoux qui est là, au milieu de son Peuple. Outre
Jn 3,29, des épisodes significatifs dans les Evangiles :
Mt 9, 14-15 ; Mt 25, 1-13 (parabole : « Voici
l’époux ! sortez à sa rencontre ! »)
; Lc 12, 35-36 ; etc. Cf. Xavier Léon-Dufour, Dictionnaire
du Nouveau Testament, éd. Seuil, article « Epoux (Jésus)».
(9)
Mgr Maurice Gardès, archevêque d’Auch, président
du Conseil pour l’Unité des chrétiens et
les relations avec le judaïsme pour la Conférence
des évêques de France.
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