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  Shinnamu-kol, la vallée de
l'arbre où est passé le père
 
     
 
Vivre >> Au cœur du monde >> En Corée

La visite de Shinnamu-kol, site lié au souvenir de Jacques Chastan, était prévue le mardi après-midi avant-dernier jour de notre pèlerinage, au prix d'un détour assez important dans l'itinéraire qui devait nous conduire de Andong à Kyongju. Au dernier moment, prenant en considération la densité de notre emploi du temps et la modestie du lieu, les organisateurs avaient décidé de l'annuler, réservant aux trois pèlerins de Digne-les-Bains la possibilité de s'y rendre en comité réduit. Nous nous sommes donc éclipsés à la fin du repas de midi, notre évêque Mgr Loizeau, mon mari Jean et moi-même, en compagnie du père Stanislas Gzella des Missions étrangères de Paris, pour rejoindre cet endroit où Jacques Chastan avait établi la base de sa mission du sud-est.

Lors de mon premier passage il y a cinq ans avec le père Gzella, j'avais déjà visité ce minuscule village caché au fond d'une vallée derrière une voie ferrée et une autoroute. Il n'y avait pas grand chose à voir : une petite maison coréenne au fond d'un passage, qui servit de presbytère au père Robert, le premier curé établi dans la région en 1888 à la fin de la période des persécutions. En face, un autre bâtiment tout aussi modeste, l'école paroissiale bâtie à la même époque. A l'entrée du village, sur le flanc de la colline, le tombeau en forme de tumulus d'une martyre de 17 ans, Elizabeth Yi Son-i, exécutée avec son frère en 1866. Ce qui m'avait le plus touché alors, dans ce cadre si humble, c'était, accroché à la première place sous l'auvent de la maison avec ceux des curés de la paroisse, le portrait de Jacques Chastan qui en était considéré comme le premier desservant. À son arrivée en 1837, il avait trouvé là une communauté très fervente, formée par les vagues successives de rescapés des persécutions ayant fui Séoul et les provinces voisines. C'est à partir de ce creuset de vie chrétienne qu'il avait organisé son ministère dans la région, assisté de deux remarquables catéchistes, les frères Pierre et Paul Hong, qui continuèrent sa mission après son arrestation et furent finalement martyrisés en 1840. C'était tout ce que je savais sur ce lieu.

Cette fois-ci, une délégation plus importante, bien que réduite par rapport aux impressionnants comités d'accueil de Séoul, nous attendait, conduite par le curé du village, un jeune bénédictin coréen accompagné de son prédécesseur et confrère allemand. Ce secteur est en effet administré depuis la guerre par une communauté bénédictine originaire d'Allemagne autrefois installée dans le nord du pays et réfugiée ici au moment de la partition. C'est d'ailleurs tout près d'ici que les armées alliées réussirent en 1950 à arrêter l'avance de l'armée communiste au prix de combats extrêmement meurtriers, évènement dont témoigne encore, dans la ville voisine de Waegwan, la présence de l'une des plus importantes bases militaires américaines de Corée.

Autour des deux bénédictins se tenaient un jeune couple et ses trois enfants, deux jeunes filles dont l'une avait fait ses études de cuisinière en France, un couple plus âgé institué gardien des lieux saints, et quatre ou cinq autres personnes d'allure modeste. Le personnage le plus important du groupe était un vieil érudit coréen, le professeur Ma Paik Nak, du Centre d'histoire religieuse de Taegu, qui était chargé de nous guider.

Le presbytère était toujours en place, bien entretenu, ainsi que le buste du père Robert, orné de fleurs, dans la cour. L'école en revanche était en travaux, à moitié détruite, nous dit-on, par des « cigales ». Compte tenu de l'étendue des dégâts, je pense qu'il y avait erreur de traduction car je n'ai jamais entendu dire que ces charmants insectes accompagnateurs de nos nuits provençales aient été capables de tels ravages, davantage imputables sans doute à des termites.

Nous avons donc échangé quelques renseignements avec nos hôtes, pris les inévitables photos souvenirs, puis nous nous sommes rassemblés dans la minuscule pièce qui sert de chapelle ou, après la récitation simultanée du Notre Père dans nos deux langues, Mgr Loizeau nous donna sa bénédiction. L'atmosphère était très douce, sous un soleil automnal légèrement voilé. Tout était simple, paisible, rempli d'une poésie familière et d'une grande pureté. Et j'ai alors fait une découverte qui m'a émerveillée. Le professeur Ma Paik Nak nous a raconté que le nom de ce village était directement lié au souvenir de Jacques Chastan. Lorsque celui-ci était arrivé dans ce lieu, un soir de grande fatigue, il s'était arrêté sous un arbre pour se reposer et y avait installé un abri de fortune. C'est là que les chrétiens l'avaient découvert. C'est donc en mémoire de lui que le village s'appelle aujourd'hui Shinnamu-Kol, littéralement « la vallée de l’arbre où est passé le père ».

Pour terminer la visite, nous avons prié sur la tombe d'Élisabeth puis nous sommes allés nos recueillir devant les reliques de Jacques Chastan conservées à la maison de retraite pour personnes âgées, la maison Élisabeth, tout en haut du village. Enfin nous sommes repartis pour Kyongju, après les dernières salutations et les dernières photos, laissant en cadeau à nos hôtes le dernier galet de la Bléone qui traînait encore dans mon sac.

Comparée aux autres réceptions que nous avions vécues, celle-ci n'était rien, ou pas grand-chose, une petite visite sans importance dans un lieu négligé des pèlerins et totalement ignoré des touristes. Mais cette brève plongée dans ce petit coin de Corée profonde où la présence tutélaire de Jacques Chastan s'incarne dans ce nom, Shinnamu-kol, gravé sur une stèle de pierre à l'entrée du village, nous a autant réchauffé le coeur que l'accueil somptueux des chrétiens de Séoul. C'étaient les mêmes sentiments de joie et de fraternité spontanées. Non décidément, nous n'avons pas fini de découvrir la richesse et la fécondité des liens du sang qui, par l’intermédiaire de nos martyrs, unissent notre Église de France à cette étonnante Église de Corée !

Françoise Fauconnet-Buzelin