Message
du Conseil permanent de la Conférence des évêques
de France à l’occasion des prochaines élections
Paris, le mercredi 18 octobre 2006
Source : Conférence des évêques de France
Qu’as-tu
fait de ton frère ?
Sommaire
 Introduction
 1.
Vivre ensemble demande que chacun sache prendre
ses propres responsabilités
 2.
Vivre ensemble suppose un État qui organise la vie
commune
 -
La recherche du bien commun
 -
L’unité nationale
 -
La nation française en Europe
 3.
Les principaux chantiers de la fraternité
 -
La famille
 -
Le travail et l’emploi
 -
La mondialisation et l’immigration
 Conclusion
Qu’as-tu fait de
ton frère ?
Cet appel de Dieu à la conscience de l’homme
a traversé les âges.
À la veille d’échéances électorales
importantes, présidentielles, législatives et
municipales, nous voulons, comme évêques, membres
du Conseil permanent de la Conférence des évêques
de France, le faire retentir avec force.
C’est pourquoi nous adressons aux communautés
catholiques, aux responsables politiques et à l’opinion
publique, ce message pour inviter à soutenir la vie
démocratique dans notre pays par la réflexion
et l’action.
L’Évangile qui inspire la doctrine sociale de
l’Église constitue notre référence.
Il nous appelle à souligner ce qui nous semble l’essentiel
pour aujourd’hui.
Qu’as-tu fait de ton frère ?
Beaucoup de Français, et parmi eux des catholiques,
éprouvent un sentiment de malaise vis-à-vis
du monde politique. Ils veulent un changement. Ils estiment
même qu’il ne suffira pas de voter pour que l’espoir
renaisse. Les temps ne sont plus où beaucoup se reconnaissaient
dans des idéologies ou dans des familles politiques
qui, comme de l’extérieur d’eux-mêmes,
les guidaient dans la vie et auxquelles ils faisaient confiance.
Aujourd’hui, ils aspirent à trouver personnellement
ce qui donne sens à leur vie et les invite à
participer à l’action collective.
Notre société cherche à donner à
chacun le plus d’autonomie possible. Elle veut protéger
contre les aléas de la vie mais conduit aussi, souvent,
à une profonde solitude. Comment construire une société
de liberté qui soit plus fraternelle, luttant contre
l’exclusion par des choix politiques mais appelant aussi
chaque citoyen à la responsabilité et à
l’engagement personnel ?
Cette fraternité correspond aux exigences de notre
foi. Nous ne pouvons nous adresser à Dieu, chaque jour,
en lui disant « Notre Père » sans prendre
conscience qu’il est le Père de tous les hommes
avec lesquels il nous demande de dire « nous »,
en étant solidaires de chacun.
Construire une cité plus fraternelle, tel est le devoir
d’un chrétien, tel est aussi l’idéal
républicain. Qui ne voit que la liberté et l’égalité
sans la fraternité deviennent lettre morte ? La violence
qui s’est déchaînée ici, la crainte
de l’avenir qui s’est manifestée là,
le souci de garder le pouvoir et d’accumuler l’argent
ailleurs, montrent que les hommes ont du mal à vivre
dans l’amitié et le respect de l’autre.
Sans volonté de vivre ensemble, ni l’argent,
ni la force, ni la sécurité ne peuvent construire
un pays. Nous pensons que, comme chrétiens, nous devons
travailler à ce « vivre-ensemble ».
1.
Vivre ensemble demande que chacun sache prendre ses propres
responsabilités
Il n’y a pas de vie sociale possible si chacun ne cherche
pas, autant que faire se peut, à être pleinement
responsable de lui-même.
Certes, chacun a besoin d’être reconnu dans ses
droits et d’être aidé devant certaines
difficultés. Mais la grandeur de l’homme est
d’écouter la voix de la conscience, cette voix
intérieure qui lui apprend qu’il est unique et
qu’il a un rôle à jouer. La grandeur de
l’homme est de s’assumer et d’être
libre. Il ne peut avoir confiance en lui que s’il accepte
à la fois cette grandeur et les limites de son humanité.
L’homme n’a pas tout pouvoir sur lui-même,
il ne s’invente pas. Il ne se comprend lui-même
que s’il accepte ses racines, s’il relit son histoire,
s’il essaie de comprendre le monde dans lequel il vit,
s’il cherche la vérité, s’il connaît
ses limites et fait face à sa mort.
L’homme n’est véritablement lui-même
que s’il entend, en son cœur, Dieu l’interroger
: « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
Il est bon que l’homme réponde librement à
l’appel à aimer sa famille, sa cité et
son pays.
Il n’est pas de citoyen du monde qui ne soit d’abord
citoyen de son pays. « De même que, selon saint
Jean, celui qui prétend aimer Dieu qu’il ne voit
pas et n’aime point son prochain qu’il voit trompe
et se trompe, ainsi j’ajouterai qu’il trompe et
se trompe celui qui prétend aimer les peuples lointains
avec lesquels il ne vit pas et n’aime point son propre
pays auquel il se frotte chaque jour . »
Aimer son pays ne consiste pas seulement à l’aimer
virtuellement, par à-coups, ou lorsque tel ou tel événement
suscite l’émotion. Beaucoup d’hommes et
de femmes aujourd’hui, en France et dans le monde, se
sentent blessés, exclus, mis sur le bord de la route
pour des raisons personnelles, sociales, économiques,
politiques, religieuses. Parce que nous voulons mettre en
œuvre le double commandement du Seigneur, nous, chrétiens
français, entendons ces hommes et ces femmes nous interroger
: « Si je suis ton frère, vas-tu passer ton chemin
? »
La présence auprès du frère en difficulté,
aussi nécessaire soit-elle, n’épuise pas
les devoirs que suscite l’amour du Christ en nous :
l’action, par le biais du politique, est une forme indispensable
de l’amour du prochain. Celui qui méprise le
politique ne peut pas dire qu’il aime son prochain et
répond à ses attentes. Celui qui méprise
le politique méprise la justice.
« L’Église ne peut ni ne doit prendre
en main la bataille politique pour édifier une société
la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre
à la place de l’État. Mais elle ne peut
ni ne doit non plus rester à l’écart dans
la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer
en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et
elle doit réveiller les forces spirituelles sans lesquelles
la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s’affirmer
ni se développer. La société juste ne
peut être l’œuvre de l’Église,
mais elle doit être réalisée par le politique.
Toutefois, l’engagement pour la justice, travaillant
à l’ouverture de l’intelligence et de la
volonté aux exigences du bien, intéresse profondément
l’Église. »
L’intérêt pour le politique ne concerne
pas le seul moment du vote. Une information sérieuse
est nécessaire. Les hommes et les femmes politiques
sont conduits à se plier au fonctionnement des médias
où le slogan masque souvent la complexité des
analyses de situation, où les intrusions dans la vie
privée remplacent quelquefois l’énoncé
d’un programme. Le citoyen est en droit d’attendre
des hommes et des femmes politiques un effort de vérité
devant les effets de la médiatisation.
Le débat, lui aussi, est essentiel. Beaucoup de chrétiens
le craignent parce qu’ils ont peur de ne pas être
« à la hauteur ». La démocratie,
pour vivre, a besoin que chacun puisse exprimer son avis et
l’exprime effectivement. Le silence conduit à
l’effacement, il nourrit la violence.
2.
Vivre ensemble suppose un État qui organise la vie
commune
À la veille de voter, il nous semble particulièrement
important, afin d’éviter tout malentendu, de
réfléchir ensemble à ce que nous demandons
aux responsables politiques.
La recherche
du bien commun
La démocratie est une réalité fragile.
Elle est instituée depuis longtemps par la Constitution.
Mais vivre ensemble, constituer un peuple, est sans cesse
à reprendre au fil des évolutions de l’histoire.
La démocratie reste toujours inachevée. Elle
est à renforcer à chaque élection. D’où
cette exigence : voter, c’est participer à l’amélioration
de la vie ensemble, ce que l’ensei-gnement social de
l’Église appelle le bien commun universel. Au-delà
des intérêts privés, le service du bien
commun vise à faire progresser la société.
Cette œuvre de la raison humaine permet de réduire
les fractures sociales.
« L’organisation politique existe par et pour
le bien commun, lequel est plus que la somme des intérêts
particuliers, individuels ou collectifs, souvent contradictoires
entre eux. Il "comprend l’ensemble des conditions
de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et
aux groupements de s’accomplir plus complètement
et plus facilement". Aussi doit-il être l’objet
d’une recherche inlassable de ce qui sert au plus grand
nombre, de ce qui permet d’améliorer la condition
des plus démunis et des plus faibles. Il se doit de
prendre en compte non seulement l’intérêt
des générations actuelles, mais également,
dans la perspective d’un développement durable,
celui des générations futures . »
À l’évidence, cette définition
des buts de l’organisation politique reste d’actualité.
Les responsables politiques, en premier lieu le Président
de la République, servent la France en permettant à
un projet collectif de venir au jour, en l’explicitant
et en donnant aux citoyens la possibilité d’y
participer.
Ce projet ne naît pas de rien. Il n’est pas possible
de créer une fraternité nationale sans s’appuyer
sur l’histoire, avec ses heurs et ses malheurs. Nier
l’histoire, la passer sous silence, c’est supprimer
toute possibilité d’aboutir à la fraternité.
L’unité
nationale
De toute son histoire, marquée par de multiples processus
de centralisation volontaire, la France a gardé l’exigence
de l’unité nationale, mais elle redécouvre
aussi ses particularités régionales et locales,
d’autant plus que ces réalités ont leur
place spécifique et reconnue dans l’espace européen.
Dans les années à venir, il est vraisemblable
que nous aurons à progresser dans ce réajustement
entre l’État et la Nation, avec sa diversité
interne. II ne peut s’agir d’une disparition de
l’État au profit d’une construction européenne
qui risquerait alors de se réduire à des structures
bureaucratiques.
L’enjeu est ici profondément démocratique
et citoyen. Il est probablement plus ancré dans la
tradition républicaine que certains ne le pensent.
Il nous faut, par conséquent, nous familiariser avec
un sens renouvelé de l’État, garant de
l’unité nationale, dans un espace circonscrit
à la fois par les régions et par l’Europe
élargie. L’État ne peut se désengager
de ses responsabilités en matière de solidarité
sociale.
La prochaine présidence de la République aura
à cet égard un rôle décisif.
La nation
française en Europe
Au cours du siècle passé, la France a changé
d’horizon et de cadre de vie. Comme toutes les nations
modernes, elle vit dans un environnement commercial, social
et politique plus large. Elle s’interroge aussi sur
l’utilisation des ressources naturelles, sur le développement
durable et sur sa responsabilité à l’égard
des générations futures.
L’élargissement de notre environnement commercial
est celui de la mondialisation qui accélère
et intensifie l’échange des marchandises et la
circulation monétaire.
L’espace politique s’est ouvert depuis plus de
cinquante ans à des structures d’alliance et
de régulation internationales. Des transferts de souveraineté
s’opèrent à l’intérieur d’ensembles
plus vastes.
En bien des domaines, l’Europe est devenue la condition
de la liberté et de la prospérité de
notre pays. Après le référendum de 2005,
les prochaines élections seront l’occasion de
définir les meilleurs chemins possibles pour la construction
européenne. Il s’agira de faire face aux problèmes
soulevés par la mondialisation, d’accroître
les investissements nécessaires au développement,
d’avoir en commun des politiques migratoires, énergétiques
et de défense, et de promouvoir une certaine harmonisation
fiscale et sociale.
Nous pouvons d’autant moins ignorer ou mépriser
ce nouveau contexte politique que la tradition chrétienne
a souvent inspiré, à leur origine, beaucoup
de ces évolutions.
3.
Les principaux chantiers de la fraternité
Parmi bien d’autres, nous souhaitons attirer l’attention
sur trois chantiers essentiels.
La famille
La famille est la cellule de base de la communauté
humaine. Elle peut changer de taille, de visage, elle n’en
demeure pas moins essentielle.
L’homme et la femme ont besoin d’aimer, d’être
reconnus et aimés tels qu’ils sont. La famille
est le premier lieu où les hommes et les femmes apprennent
la confiance en eux-mêmes et la confiance dans les autres.
La famille permet, en effet, de découvrir que chacun
a sa place dans une histoire, dans un réseau, sans
avoir à le mériter, dans le respect des différences
particulières : âge, sexe, qualités ou
faiblesses. La plupart des Français plébiscitent
la famille et ont un projet familial ; ils pensent que dans
une société, souvent dure et concurrentielle,
ils peuvent y trouver estime et confiance. Comment ne pas
s’en réjouir ? La crise de confiance que traverse
la société a souvent pour origine une carence
familiale.
Nous sommes conscients, comme chacun, des fragilités
de la vie familiale dans un monde épris d’épanouissement
individuel et soumis à de nombreuses sollicitations.
Ces fragilités renforcent la nécessité
de promouvoir l’institution familiale.
Nous aussi, nous sommes pour l’épanouissement
de la personne, mais un épanouissement qui soit pleinement
responsable, qui respecte la dignité humaine, la défense
des faibles et permette l’instauration d’une société
de confiance.
Comment construire la confiance si la société
accepte l’exclusion des plus faibles, depuis la pratique
de l’avortement jusqu’à la tentation de
l’euthanasie ?
Comment construire la confiance s’il est des malheurs
que l’on ne peut exprimer :
- par exemple, la difficulté pour une femme, dans
certains cas, de refuser un avortement devant les pressions
qui s’exercent sur elle ;
- ou la difficulté pour des enfants d’exprimer
leur souffrance face au divorce de leurs parents ;
- ou encore celle d’enfants qui ne peuvent exprimer
leur désarroi d’ignorer qui est leur père
ou leur mère.
Et comment peut-on parler de ces traumatismes, sans tenir
compte de leurs conséquences sur la vie sociale ?
Il est normal que l’État se préoccupe
des situations difficiles. L’Église est prête,
à leur propos, à prendre part à un débat
loyal où son avis ne serait pas disqualifié
au départ ou marginalisé.
Le message de l’Église veut s’adresser
à la conscience de chacun : il appelle à bâtir
des familles stables, fondées sur des couples, unissant
un homme et une femme, qui prennent le temps de se préparer
à leurs responsabilités d’époux
et de parents. Soutenir la famille, c’est d’abord
garder au mariage son caractère unique d’union
acceptée librement, ouverte à la procréation
et institutionnellement reconnue.
Parmi les difficultés que rencontrent les familles,
le logement est sûrement un problème majeur.
Notre pays connaît aujourd’hui une crise profonde
du logement. Son coût conduit trop de familles à
un éloignement de leurs lieux de travail, source d’épuisement
et de déstructuration. L’accès à
la propriété reste souvent un rêve inaccessible.
Les logements sociaux sont trop peu nombreux, pas toujours
habités par ceux qui y auraient droit ou alors isolés
dans des quartiers sans mixité sociale. La séparation
des couples et la recomposition des familles augmentent les
besoins.
Au-delà des difficultés techniques considérables
pour résoudre cette question, le logement doit être,
pour l’État, une priorité politique essentielle.
Le travail
et l’emploi
Depuis plus d’un siècle, l’Église
propose sa « doctrine sociale ». Elle rappelle
qu’il n’existe pas de bonne économie sans
le respect des personnes.
Si le lien social se fragilise dans notre pays, beaucoup
pensent que c’est largement à cause du chômage.
« Le travail est un bien de l’homme – il
est un bien de son humanité – car, par le travail,
non seulement l’homme transforme la nature en l’adaptant
à ses propres besoins, mais encore il se réalise
lui-même comme homme et même, en un certain sens,
il devient plus homme. […] La caractéristique
du travail est avant tout d’unir les hommes et c’est
en cela que consiste sa force sociale : la force de construire
une communauté . »
Travailler est un facteur d’intégration.
Travailler est l’un des chemins par lequel l’homme
et la femme se réalisent et font société.
La personne a besoin non seulement de gagner son pain mais
aussi de se sentir utile.
Travailler est une responsabilité essentielle. C’est
un droit, mais c’est aussi un devoir.
La situation de l’emploi est, pour beaucoup aujourd’hui,
une cause de difficulté et de souffrance.
Pour la majorité des Français, l’emploi
est une cause nationale pour laquelle des choix et des efforts,
personnels ou collectifs, doivent être consentis.
Par exemple :
- choisir, pour les jeunes, une filière qui corresponde
à la fois à leurs goûts, à leurs
aptitudes et aussi aux besoins du pays ;
- accepter, pour un salarié, de se syndiquer et de
penser que les entreprises ont besoin de ce partenariat
pour continuer à s’adapter ;
- oser fonder une entreprise ou prendre une responsabilité
dans un monde économique souvent chaotique ;
- permettre, pour le chef d’entreprise, que les salariés
prennent part aux décisions qui les concernent.
Bien des efforts sont aussi nécessaires pour embaucher,
former, accepter des apprentis, valoriser le travail manuel.
Efforts enfin de tous pour soutenir les chômeurs dans
leur recherche de travail.
Mais constater la somme de choix et d’efforts que demande
l’intégration par le travail n’exonère
pas l’État de ses responsabilités, directes
ou indirectes. Il doit soutenir ces efforts et rendre les
choix possibles. Il peut le faire en favorisant le dialogue,
en permettant que la loi et la réglementation s’inspirent
d’une vision politique réfléchie et travaillée
avec les partenaires sociaux.
La mondialisation
et l’immigration
La France est impliquée dans le processus de mondialisation.
Elle en bénéficie largement.
Il ne s’agit pas tant de s’en féliciter
– pour le développement des échanges,
la circulation de l’information, la découverte
des cultures – ou de s’en lamenter – pour
les délocalisations, la non-maîtrise des politiques
économiques, la concurrence à outrance. Il faut
plutôt accepter de nous interroger sur nos comportements,
personnels et collectifs, dans cette nouvelle donne.
L’interpénétration des cultures marque
la société française. Beaucoup de gens
voyagent, des jeunes étudient, travaillent à
l’étranger, s’y marient…
Le marché se développe en usant des différences
de coûts de production, mais aussi en diffusant un art
de vivre qui suscite toujours le désir de gagner davantage
et de consommer plus. Nous ne pouvons pas défendre
nos positions, exporter produits et services, sans accepter
aussi d’être rejoints par la concurrence de pays
que l’on appelle « émergents ».
Nous nous sommes habitués à la libre circulation
de l’argent, des marchandises, des informations, mais
nous sommes plus réticents face à la liberté
de circulation des personnes. Peut-on à la fois pratiquer
la liberté du commerce, tout en barrant la route aux
immigrés ou en les renvoyant chez eux ?
C’est dans ce cadre général qu’il
faut réfléchir la question de l’immigration.
Pour les chrétiens, l’accueil des migrants est
signe de l’importance attachée à la fraternité.
Le sujet est difficile et nous savons l’extrême
sensibilité de nos concitoyens en ce domaine. Comment
pourrions-nous nier les problèmes ? Comment pourrions-nous
nier qu’un pays comme le nôtre a des limites à
sa capacité d’accueil ? Cependant, il convient
de prendre notre juste part à cet accueil. Et juste,
ici, veut dire de façon généreuse.
Évêques, nous voyons nos communautés
accueillir nombre de ceux qu’on appelle des étrangers
ou des migrants. Leur présence nous amène à
formuler quelques convictions :
- Nous estimons normal que notre pays définisse une
politique de l’immi-gration. Cela fait partie de la
responsabilité gouvernementale et tout gouvernement
doit faire face à cette question.
- Dans l’Église, cependant, il n’y a
pas d’étranger : le baptême fait accéder,
où que l’on soit, à la « citoyenneté
» chrétienne et l’Évangile nous
appelle à une fraternité universelle. Dans
bien des communautés, les étrangers ont le
souci de partager avec d’autres, nous en sommes témoins
!
- La rencontre avec ces frères et sœurs venus
d’ailleurs nous amène à poser fortement,
dans le débat public, la question de l’extraordinaire
inégalité qui règne dans le monde.
Sommes-nous attentifs aux choix politiques qui favorisent
un développement solidaire ? Sommes-nous prêts
à modifier notre mode de vie, afin de permettre un
réel développement des pays les plus pauvres,
en particulier en Afrique ? Sommes-nous prêts à
partager concrètement pour aider les pays les moins
développés ? N’est-il pas important
de lancer cet appel aux Français ?
- Parmi les migrants, beaucoup, pour s’établir
en France, ont franchi des difficultés considérables
et certains ont risqué leur vie. Pourquoi ne pas
porter à leur crédit cette volonté
de rejoindre notre pays et ne pas se fonder sur elle pour
leur trouver une place dans la société nationale
? Certes, nous ne pouvons pas recevoir tout le monde, mais
il nous est aussi impossible de renvoyer tous les clandestins.
Notre pays doit pouvoir continuer à recevoir les
réfugiés politiques et ceux qui risquent des
persécutions, y compris religieuses, dans leur pays.
- Enfin, réguler l’immigration veut dire pourchasser
les mafias et autres circuits d’immigration clandestine,
employeurs véreux, marchands de sommeil, etc.
Conclusion
Qu’as-tu fait de ton frère ?
À la veille de cette période électorale,
nous invitons les catholiques de France et, à travers
eux, tous les citoyens à prendre le temps de la réflexion
et du dialogue sur les enjeux de ces élections, présidentielles,
législatives puis municipales.
Nous avons voulu rappeler quelques éléments
du rôle de l’État dans la recherche du
bien commun. Un État qui a une mission essentielle
mais qui ne peut pas tout.
Nous avons aussi voulu souligner la nécessité,
pour notre pays, de bâtir une communauté nationale
fraternelle, expression de notre aspiration à une vie
commune paisible. Cette aspiration s’enracine dans notre
histoire et notre culture et dépasse les enjeux politiques
immédiats. La fraternité est un objectif qui
donne sens à la vie sociale et qui invite à
l’action politique. Elle passe par l’attention
aux plus fragiles et le respect de chaque personne humaine.
« Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font
de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs
de Dieu. Honorez tout le monde, aimez vos frères, craignez
Dieu » (Première épître de saint
Pierre 2, 16-17).
Paris, le 18 octobre 2006
Le Conseil permanent
de la Conférence des évêques de France
:
Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque
de Bordeaux,
Président de la Conférence des évêques
de France
Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille,
Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy,
Vice-Présidents de la Conférence des évêques
de France
Mgr André Vingt-Trois, archevêque
de Paris
Mgr Jean-Luc Bouilleret, évêque
d’Amiens
Mgr Jean-Luc Brunin, évêque d’Ajaccio
Mgr Bernard Charrier, évêque de Tulle
Mgr Gérard Daucourt, évêque de Nanterre
Mgr Georges Soubrier, évêque de Nantes
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