Nous poursuivons notre promenade dans la Correspondance de Thérèse sans autre but que de butiner les petites fleurs qui attirent notre attention. Le parfum d’une fleur chatouille agréablement les narines d’une personne et en laisse une autre indifférente. C’est le charme des fleurs d’être diverses pour que chacun dans le nombre y trouve celles qui lui conviennent.
Les commentaires ne prétendent pas à l’exactitude. Ils expriment le sens attrapé comme en passant.
L’adolescence
Lettres 22 à 45
(Noël 1886 - avril 1888)
Quatre lettres adressées à ses cousines, Marie et Jeanne Guérin, montrent l’humour de la jeune adolescente.
Lettre 23 : A Marie Guérin (27 juin 1887)
« Ma lettre est un vrai brouillon et je ne sais comment je puis oser te l’envoyer ainsi. » Thérèse rédige sa lettre d’un trait. C’est le premier mouvement de sa pensée et non une épreuve corrigée ou réécrite. Marie Guérin souffre d’une dent et Thérèse s’en inquiète, « Ta dent te fait-elle moins souffrir ? » Thérèse croit son amie sur le chemin de la guérison. Elle pourrait s’inquiéter, imaginer que Marie se tient la joue et pleure en cachette. Thérèse ne pense pas le pire mais le mieux. « Je te vois allant beaucoup mieux. » Ce trait est caractéristique de Thérèse. Ne pas construire des scénarios catastrophes mais opposer à ce mouvement de la pensée un optimisme robuste. Cependant, elle n’est pas assurée que Marie aille mieux d’où la note humoristique qui conclut la missive : « Je te quitte en t’embrassant non pas sur les deux joues, je craindrais de te faire mal aux dents, mais sur ton joli petit front. » Humour et affection sont inséparables.
Lettre 24 : A Jeanne Guérin (27 juin 1887)
Thérèse aborde souvent le thème de la mort : « Tu es bien contente de ne plus entendre mes sermons sur la mort. » Elle éprouve le besoin d’en parler à nouveau avec humour sans doute pour adoucir l’impression des « sermons » antérieurs. « J’ai à vous annoncer la mort de huit de mes chers vers à soie, il ne m’en reste que quatre. Céline leur a prodigué tant de soins qu’elle est arrivée à me les faire mourir presque tous de chagrin et d’apoplexie foudroyante ; je crains beaucoup que les quatre qui restent n’aient attrapé le germe de la maladie de leurs frères et qu’ils ne les suivent dans le royaume des taupes. »
L’en-tête de la lettre représente un voilier dessiné par Thérèse. Le sujet dépend sûrement du contenu de la lettre. La mort serait-elle comme un bateau poussé vers de nouveaux rivages ?
Lettre 25 : A Marie Guérin (14 juillet 1887)
Marie a une rage de dents. Thérèse la console avec son humour et sa gaîté habituels.
Les joues enflées déforment le visage : « Voyons, vilaine petite Laide… pourquoi as-tu… porté ta figure chez le sculpteur ? » Le XIX° siècle ignore la fraise et plus encore les anesthésies locales ! Le dentiste (sculpteur) « a vraiment bien arrangée ta figure ! … J’ai été désolée en apprenant que tes vilaines petites joues avaient encore pris la forme d’un ballon… »
Thérèse ne se désintéresse pas des petites misères de ses proches. Elle cultive l’humour pour détendre sa cousine et la faire sourire.
Lettre 26 : A Marie Guérin (18 août 1887)
Décidemment Marie cumule les problèmes de santé. Après la rage de dents la voici malade. « Hélas, comme les choses arrivent tout autrement qu’on ne se le figure, je te voyais de loin, courir gaiement dans le parc regarder les poissons, te donner beaucoup de plaisir avec Jeanne, enfin je te voyais mener une vie de châtelaine ; mais au lieu d’une vie de châtelaine, c’est une vie de malade que tu mènes là-bas, oh ! ma pauvre chérie, je te plains de tout mon cœur, mais il ne faut pas te décourager. » L’état de santé de Marie affecte Thérèse. Elle ne désarme pas dans son désir de réconforter la malade : « Il ne faut pas te décourager, car tu as encore le temps de te promener et d’avoir du plaisir. »
Elle devance l’objection de sa cousine, que la maladie pourrait durer le temps du séjour à la Musse, en ouvrant la trousse à remèdes : « Tu n’as qu’à bien vite quitter ta chambre, qui, quoi que belle et dorée, n’est…qu’une belle Cage. » Et de prescrire le traitement : « Tu as besoin du grand air du parc comme les petits oiseaux. » La médication produira son effet : « Il faut que quand tu reviendras au milieu de nous tu sois fraîche comme une jolie rose qui vient de s’entrouvrir… ». Au bas de l’ordonnance, en guise de signature, elle exprime toute son affection: « Oh ! ma chérie, j’ai bien envie en parlant de roses de t’embrasser tes mignonnes joues ». Notons la délicatesse de Thérèse : tes joues «ne sont pourtant pas roses mais j’aime autant une belle rose blanche qu’un rose rouge. » Pourtant, « tâche de faire devenir tes petites joues moins blanches. »
Cette lettre écrite à toute vitesse, « j’ai laissé courir ma plume comme une petite folle », lève un peu le voile sur le cœur aimant de Thérèse et laisse aussi deviner une autorité naturelle.
Thierry
Cazes
... à suivre ....