L’adolescence
(suite)
Lettres
22 à 45
(Noël
1886 - avril 1888)
Avec
la lettre 27 la Correspondance s’approfondit.
Thérèse parle pour la première fois de
sa vocation et se met en quête d’une aide sacerdotale
(lettre 28).
Lettre
27 : A sœur
Agnès de Jésus (8 octobre 1887)
Thérèse
confie à son oncle son désir d’entrer au
Carmel. « Il m’a fait un petit sermon très AFFECTUEUX
auquel je m’attendais. » Il ne conteste pas
sa vocation, « il était très sûr
de ma vocation ». Il objecte son tout jeune âge.
On n’entre pas au Carmel à 14 ans. « Mon
oncle me dit que selon les règles de la sagesse humaine,
il ne faut pas que je croie entrer avant dix-sept ou dix-huit
ans, ce sera encore trop tôt. » Il faut aussi
prendre en compte l’opinion publique à une époque
où les relations entre l’Eglise et la société sont
tendues : « Ce serait un véritable
scandale public que de voir entrer une enfant au Carmel, je
serai la seule sur toute la
France… ».
L’hésitation
de l’oncle est compréhensible. Pour nous en convaincre,
une mise en situation. Si votre fille de 14 ans vous demande
d’entrer au Carmel, il est peu vraisemblable que vous
l’embrassiez et rendiez grâce à Dieu. Qui
lui a mis cette idée dans la tête ? Ses sœurs
qui l’ont précédée au Carmel et
qui entretiennent une relation affectueuse avec elle ?
Un prêtre, sergent-recruteur, qui aurait subrepticement
imprimé ce projet dans sa jeune cervelle ? Une
imagination pieuse et romantique ? Et puis que vont penser
les voisins ? Qu’elle attende donc sa majorité !
Si
vous êtes astucieux, pour éviter le conflit, vous
baisserez légèrement la tête et vous direz
d’une voix douce: « Si le bon Dieu le veut,
il pourra le montrer ».
Cette
parole dite par l’oncle est sincère. Thérèse
interprète le propos à sa façon : « Je
pense que le Bon Dieu ne sera pas embarrassé pour montrer à mon
oncle, quand il le voudra... » Elle n’a pas
besoin que Dieu confirme sa vocation. C’est déjà fait.
Quant à l’oncle… que le Bon Dieu lui montre !
« Tu
sais, ma petite sœur chérie, mon oncle m’a
dit bien des choses très gentilles ». Thérèse
ne restitue dans sa lettre « que les obstacles qu’il
a trouvés. » Elle est convaincue « que
pour le Bon Dieu ces obstacles n’en sont pas. »
L’entretien
l’a cependant ébranlée. « Je
ne puis rassembler mes idées. » « Je
me sens malgré tout… » Le « malgré tout » récapitule
les objections. « … malgré tout pleine
de courage ». Elle appuie sa fragilité sur
la solidité de la fidélité de Dieu à son
appel, « Je suis bien sûr que le Bon Dieu
ne va pas m’abandonner. »
Le
temps du combat commence. Le secret du cœur est lâché.
Il va falloir tenir bon et supporter les remarques et le regard
pas toujours très bienveillant des autres. « Maintenant
va commencer mon temps d’épreuve ».
En
suppliant Agnès de prier pour elle, Thérèse
ouvre une petite fenêtre sur son intériorité: « Oh !
je ne veux rien lui (Jésus) refuser. » Elle
accepte tout et offre tout par amour pour lui. Le monde pourrait
s’écrouler autour d’elle, elle serait toujours
riche de sa présence. « Même quand
je me sens triste et seule sur la terre lui me reste encore. » La
petite Thérèse est déjà à l’école
de la grande Thérèse : « Sainte
Thérèse n’a-t-elle pas dit : Dieu
seul suffit. »
Elle écrit
cette lettre sous le coup d’une forte émotion.
Comme à son habitude elle écrit rapidement: « Pardonne-moi
de t’envoyer cette lettre ou plutôt ce brouillon
où les idées ne se suivent même pas, je
ne sais même pas si tu vas pouvoir la lire tant elle
est mal écrite mais mon cœur avait tant de chose à dire
que ma plume ne pouvait le suivre. »
Pour
une adolescente de 14 ans, elle se débrouille plutôt
bien.
Lettre
28 : Au
Père Pichon (23 octobre 1887)
Il
n’est pas sûr que cette lettre ait été envoyée.
Le
Père Pichon est jésuite. Marie et Céline
l’ont pour directeur de conscience. « J’ai
pensé, puisque vous vous occupiez de mes sœurs,
que vous voudriez bien prendre aussi la dernière. » Quinze
jours après avoir révélé à son
oncle sa vocation Thérèse est en quête
d’un accompagnateur spirituel. A la différence
de ses sœurs elle éprouve une réelle difficulté à exprimer
par écrit son ressenti profond. Du moins le croit-elle. « Je
crois, mon Père, que malgré tout vous allez me
deviner. » L’écrit permet de la deviner
mais pour connaître son cœur il faudra la rencontrer : « J’espère
que je pourrai vous voir au Carmel pour vous ouvrir mon cœur. »
Le
premier mot, la première confidence, le premier cri
est une action de grâce : « Le Bon Dieu
vient de m’accorder une grande grâce. » Tendons
l’oreille ! « Depuis longtemps je désire
entrer au Carmel, je crois que le moment est arrivé,
Papa veut bien que j’entre à Noël. » Elle écrit : « depuis
longtemps ». Il faut se rappeler son tout jeune âge.
Si
le discours de l’oncle était plein de sagesse
humaine, son père « veut bien ».
Thérèse a livré sa première bataille
et remporté sa première victoire : « Veut
bien ».
« A
Noël », dans deux mois.
Le
cœur de Thérèse déborde de reconnaissance : « Oh !
comme Jésus est bon de me prendre si jeune ! je
ne sais comment le remercier. »
L’oncle
s’est rangé à la décision paternelle : « Mon
oncle me trouvait bien jeune, mais hier il m’a dit qu’il
voulait faire la volonté du Bon Dieu. »
Les
lettres nous conduisent alors à Paris « nous
avons vu de très belles choses mais cela n’est
pas le bonheur » (Lettre 30), en Italie « dans
les belles Eglises où nous allons je ne vous oublie
pas » (Lettre 31) après avoir côtoyé les
Alpes Suisse où « on prie si bien, l’on
sent que Dieu est là (Id.). Voyage d’agrément ?
Thérèse languit Rome et ne pense qu’à une
chose : « Comment je m’y prendrai pour
parler au Pape ? » (Lettre 32).
Thierry
Cazes
... à suivre ....