La
situation actuelle du diocèse de Digne est le résultat
d’une histoire. L’évocation, même succincte,
de ce passé pourrait peut-être aider à comprendre
ce qui est vécu aujourd’hui sur le plan humain et sur
le plan ecclésial et ce qu’il conviendrait de faire pour
que l’avenir ajoute à ce passé ce qui est souhaitable
et possible.
1/ Sur une période de cent cinquante ans, un survol en
quelques dates et quelques chiffres
Notre point de départ est l’année 1850. Notre
conviction est que, depuis cette année charnière,
les évènements qui ont marqué la vie du diocèse
de Digne ne peuvent être correctement compris ou appréciés
que en les situant dans le contexte démographique, culturel
et politique :
Démographie :
En 1850, le département des Basses-Alpes créé
en 1790 compte 150.000 habitants. Cette population est essentiellement
rurale.
Ce chiffre de population baissera jusqu’à 83.000
à l’approche de la deuxième guerre mondiale.
Le passage de 150.000 habitants de 1850 aux 140.000 de l’an
2000 recouvre en fait une évolution considérable due
à des facteurs très divers qu’on va analyser
ci-après.
L’évolution du nombre de paroisses corrobore ce qui
précède :
En 1850, le diocèse compte trois cents paroisses. Ce nombre
va encore augmenter sous le second empire pour tenir compte du nombre
de prêtres.
Le nombre de paroisses va rester le même, officiellement,
jusqu’en 1962 mais la population des paroisses rurales va
baisser graduellement par suite de l’exode rural.
Lorsqu’en 1962, l’évêque prononce «
l’union extinctive » de cent cinquante sept paroisses,
celles-ci, qui furent toutes, pendant un temps, desservies par un
curé, comptaient alors entre zéro et soixante-dix
habitants soit pour une population de 3611 habitants, une moyenne
de vingt-trois habitants par paroisse, c’est-à-dire
la fin d’une vie sociale et de la « civilisation paroissiale
» instaurée plusieurs siècles auparavant avec
des divisions territoriales souvent héritées de la
féodalité.
Le nombre de prêtres.
La civilisation paroissiale était liée, en fait, à
la présence d’un prêtre au milieu de la population.
En ce domaine aussi, les chiffres donnent à réfléchir
:
À l’approche de la moitié du dix-neuvième
siècle, en 1841, on dénombre 372 prêtres dans
le diocèse de Digne.
En 1903 ce nombre se trouvera maintenu mais va baisser après
l’événement de la séparation de l’Église
et de l’État le 9 décembre 1905.
Après un renouveau passager dans les années 1930,
on arrive, en 1950 à un effectif de 147 prêtres.
En 2004, il y a dans le diocèse soixante-sept prêtres
dont trente-sept en activité et parmi eux, vingt-trois au
service des paroisses.
2/ En arrière-plan des données statistiques, les
évolutions autour de 1850.
Évolutions en cours depuis la Révolution
Pour amorcer cette évocation succincte des évolutions
qui ont préparé la situation du diocèse en
1850 et celles qui préparent déjà une suite
on peut commencer par une donnée statistique : dans une exposition
organisée en 2002 aux Archives départementales à
propos de cette époque, un panneau indiquait, après
le nombre d’habitants : catholiques : 99,30 %.
On peut penser que cette unanimité impressionnante trouvera
sa cause dans plusieurs réalités évoquées
précédemment : un milieu social homogène, l’absence
presque totale de protestants - partis lors de la révocation
de l’édit de Nantes -, le fort maillage paroissial
autour d’un clergé nombreux, sans oublier « l’alliance
du trône et de l’autel » qui va continuer jusqu’à
l’avènement de la République en 1870.
En effet, lorsqu’en 1802, Napoléon conclut le Concordat
avec le Saint-Siège il continue une tradition qui remonte
au Concordat de 1516 et qui pendant des siècles, aura conféré
un statut privilégié à l’Église
catholique.
Le fait d’un appui politique qui aura caractérisé
la France pendant des siècles avant qu’elle ne se distingue
par son caractère laïc, ne doit pas empêcher d’apprécier
les multiples formes du dynamisme chrétien qui a conduit
à la situation de 1850. Faute de pouvoir développer,
nous indiquons succinctement :
Le renouveau de la formation du clergé
Lorsque Mgr De Miollis (rendu célèbre par Victor Hugo
sous le nom de Mgr Myriel dans « Les Misérables »)
devient évêque de Digne en 1805, il se préoccupe
d’aménager l’ancien couvent des Cordeliers pour
y installer le Grand séminaire en octobre 1809. On note qu’au
fur et à mesure que s’éloignent les souvenirs
de la période révolutionnaire, le nombre d’entrées
au séminaire puis d’ordinations augmente. Ainsi parmi
les prêtres qui seront recensés en 1841, seront ordonnés
par exemple : quinze en 1820, dix-huit en 1821, dix-neuf en 1822,
huit en 1823, quatorze en 1824, vingt en 1825 etc… soit quatre-vingt-quatorze
ordinations en six ans !
Les congrégations religieuses en plein essor
Si notre diocèse a fait mémoire en 2003 et 2004 de
cette période de son histoire, c’est parce que, avec
l’évocation du souvenir de saint Jacques Chastan et
du père Joseph Ravel, on a été invités
à admirer ces témoins de l’élan missionnaire
qui a caractérisé cette époque.
Par ailleurs, des congrégations diocésaines se sont
créées à ce moment là et se sont impliquées
notamment dans l’éducation et la santé.
B/ Les autres évolutions qui se dessinent
La révolution industrielle
Dans notre département essentiellement rural, elle se manifestera
lentement. La production de matériaux de construction restera
d’abord d’ordre local : « plâtrières »,
« tuileries », « four à
chaux », des lieux-dits en gardent le souvenir.
Cependant un milieu ouvrier va se dessiner par exemple avec les
mines à charbon. Mais il était alors difficile de
prévoir la suite.
En effet lorsqu’en 1817, une ordonnance royale permet l’ouverture
de la mine de charbon de Saint-Maime, le fait peut paraître
minime et on est encore loin des créations industrielles
de Péchiney à Saint-Auban, de Sanofi à Sisteron,
puis plus tard de Cadarache. Cependant une évolution des
mentalités se dessine et, avant même qu’on fasse
le constat que « l’Église a perdu la classe
ouvrière », les prêtres de la région
de Forcalquier inscrivent au programme de leur « Cercle
d’étude sacerdotal » en 1906 : « La
désertion des campagnes : causes et remèdes, le socialisme
des instituteurs, le socialisme bas-alpin, le socialisme agraire ».
Le diocèse de Digne autour de 1900
Dans l’ « Histoire des catholiques en France »
l’auteur compare la période que nous venons d’évoquer
à grands traits avec celle qui suivra :
« En 1848, le catholicisme a retrouvé les moyens
traditionnels, mais encore efficaces de son emprise ; il a puisé
en lui la capacité d’un renouvellement incontestable.
Après 1848, le renouveau se polarise. Le catholicisme apparaît
renforcé, il manifeste bruyamment son dynamisme ! Trente
ans après, c’est la défensive. Que s’est-il
passé ? »
En cette année 2004, des bulletins diocésains évoquent
le cent cinquantième anniversaire de la mort de Félicité
de Lamennais qui souhaitait en 1850 que l’Église se
prépare aux évolutions à venir en soutenant
les grandes libertés que lui étaient chères :
« Liberté de conscience, de l’enseignement
et de la presse, liberté d’association et la séparation
de l’Église et de l’EÉtat ». En
attendant que se réalisent ces vœux, les uns douloureusement
en 1901 et 1905 et les autres au concile Vatican II, notre diocèse
garde le souvenir d’un basculement.
Avant 1900, prêtres et laïcs adhèrent aux convictions
exprimées par le pape Léon XIII qui, en 1892 demande
le « ralliement » à la démocratie
mais la rupture va se produire quelques années plus tard
et les ouvrages d’histoire locale racontent en détail
:
11 décembre 1906 : « Mr le commissaire de police
s’est présenté à l’évêché
et a notifié à Monseigneur l’ordre de fermeture
des deux séminaires. L’immeuble occupé par le
grand séminaire doit être évacué… »
« L’ordre de quitter l’évêché
fut de même adressé à l’abbé Castellan
(l’évêque) qui se réfugie chez M. Colomb… »
Il faut noter aussi que, jusqu’à la loi de séparation,
prêtres et laïcs délibéraient paritairement
de l’entretien des lieux de culte au sein des conseils de
fabrique.. Après le refus du pape Pie X d’accepter
les « associations cultuelles » prévues
par la loi, ce sera le face à face entre le maire, propriétaire
de l’église mais sans droit d’utilisation et
le curé, utilisateur « affectataire »
mais sans droit de propriété.
En quelques jours l’acquis d’un long passé s’effondre
et il faudra des décennies pour inventer un nouveau type
de rapport entre l’État et les curés de cathédrale
comme entre les maires et les curés. Quelle leçon
peut-on tirer de ce genre d’expérience ?
4/ Autour de 1960 et depuis lors
Des évolutions qui se confirment et s’amplifient
Des questions concernant l’avenir et qui restent presque les
mêmes quarante ans plus tard
A/ Des évolutions qui confirment ce qui était déjà
perceptible durant les deux ou trois décennies précédentes.
Quelques phrases tirées du message de Mgr Collin qui, à
Noël 1963, accompagne le décret de suppression de cent
cinquante sept paroisses et souligne les signes de cette évolution
dans notre diocèse :
- « Diocèse rural ? C’était vrai
il y a seulement quelques années. Ce n’est déjà
plus vrai aujourd’hui. »
- « La population. Elle est en augmentation depuis plusieurs
années… le diocèse passe à 95.000 habitants
au recensement de 1962. »
- « Évolution géographique du peuplement.
Cette augmentation de population s’effectue exclusivement
au bénéfice d’une dizaine de villes du diocèse
et de la vallée de la Durance qui s’industrialise. »
- « Exode rural : .. en huit ans, de 1954 à 1962,
le département a vu diminuer de 32% les effectifs agricoles
et croître de 36% les effectifs non agricoles. »
- « Paroisses et extension - accueil : dans ces paroisses
s’impose une pastorale de l’accueil. »
- « Dans les paroisses « éteintes »
par le fait de la réunion à une autre, le plus difficile
sera d’y garder la perspective de l’évangélisation
de tous les paroissiens. On continuera à y célébrer
les baptêmes, les mariages, les obsèques et la fête
du patron. »
Il faut ajouter à tout cela, le développement rapide,
dans ces mêmes années, d’un tourisme qui va repeupler,
à certains moments, les zones rurales et, de plus en plus,
y construire des résidences secondaires.
Mais face à ces divers aspects d’une évolution
rapide, les moyens dont dispose le diocèse ont tendance à
diminuer et certaines institutions disparaissent :
Malgré un renouveau de vocations sacerdotales dans les
années 1930, le nombre total des prêtres du diocèse
sera passé de 370 en 1900 à 106 en 1960. Dès
lors le grand séminaire, fondé en 1779, réinstauré
en 1809, ferme en 1952.
Le petit séminaire, bâti par Mgr Meirieu en 1853, fermera
ses portes en 1965 et le bâtiment sera détruit en 2003.
Du côté des laïcs, l’Action catholique,
d’abord florissante jusqu’en 1960, va s’essouffler
un peu tandis que, par ailleurs, le concile Vatican II va susciter
l’éclosion d’une diversité de fonctions
et « ministères » confiés aux
laïcs.
Mais, les activités pastorales doivent prendre en compte
non seulement les évolutions signalées plus haut mais
aussi l’évolution rapide des mentalités.
B/ Évolution des mentalités avec, comme conséquences
le fait que les aspects positifs de la situation ecclésiale
et sociale se trouvent mêlés à des faits préoccupants.
C’est pourquoi nous présentons ceux-ci de façon
mêlée :
- Mobilité et changements dans les habitudes.
La mobilité, c’est celle qui, dans une population relativement
stable, conduit chez nous des gens porteurs de compétences
d’expériences et de cultures diverses. En contrepoint,
les coutumes et pratiques y compris religieuses, sont mises à
l’épreuve.
- Liberté de penser et mise en cause des magistères
et autorités.
La liberté de penser que Félicité de Lamennais
appelait de ses vœux peut conduire sur le plan religieux à
une plus grande intelligence de la foi, mais elle peut conduire
aussi à une remise en cause des fondements mêmes de
la foi.
- Le droit au bonheur et la difficulté de l’engagement.
Dans l’amour mutuel ou dans l’engagement sacerdotal,
il y a un droit au bonheur mais la durée exige aussi des
sacrifices. Dans les années 1970 l’augmentation du
nombre de divorces, a coïncidé avec une diminution nette
du nombre d’entrée dans les séminaires…
et les statistiques n’ont plus changé.
- Choix personnels et transmission de la foi
De même que « on ne naît pas chrétien,
on le devient », on ne peut pas être croyant sans
en avoir fait le choix mais la foi est aussi un dépôt
à transmettre. Or ceux qui ont eu vingt ans en 1960 savent
par expérience que la transmission de la foi à la
génération suivante a été difficile
et pour ce qui concerne la catéchèse de leurs petits
enfants, la fréquentation du catéchisme est passée
de 60 % à 25%.
5/ Pourtant dans l’Église le début de la période
1960 – 2004 a été marqué par l’événement
du concile ( 1962-1965). Avec courage et lucidité, les pères
du concile ont tracé les voies d’une compréhension
nouvelle du monde à évangéliser et donc des
voies nouvelles de l’évangélisation. Mais pour
les raisons invoquées plus haut et par le fait d’une
rupture dans la transmission, on constate tout à la fois
une générosité de plus en plus grande de la
part des acteurs de l’évangélisation et, en
même temps une certaine fatigue du fait du petit nombre ou
du non renouvellement.
Dans ce contexte, les chrétiens conscients des enjeux de
l’époque actuelle vivent profondément l’espoir
et la difficulté. Ceux qui portent la mémoire d’une
vie chrétienne souvent héritée de la famille
et enrichie par l’apport du concile ont conscience de devoir
préparer un avenir mais la figure de celui-ci tarde à
se dessiner.
Cependant,… l’espérance est une grâce
et un devoir !
Gaston Savornin
N.B : L’occasion de cette brève étude portant
sur un siècle et demi de l’histoire du diocèse
de Digne, a été la demande des responsables diocésains
du Mouvement chrétien des retraités réunis
en assemblée régionale à Sainte-Tulle. L’allusion,
dans le dernier alinéa, à ceux et celles qui vivent
parfois la « crise de la transmission » jusque
dans leur propre famille, les concerne donc tout spécialement,
et, avec eux, tous les membres de nos communautés qui voudraient
bien voir une « relève » pour que l’héritage
de l’histoire soit correctement assumé et prolongé
dans la fidélité comme dans les renouveaux qui seraient
nécessaires.
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