LETTRES DE SAINTE THERESE DE LISIEUX
(6)
Le
postulat
Lettres
46 à 80
(9
avril 1888 – 10 janvier 1889)
Durant
cette période Thérèse écrit 12
lettres à son père (Mr Martin) , 4 à Céline,
3 à sœur Marie du Sacré-Cœur, 1 à Mr
Guérin, 3 à Marie Guérin, 4 à Mme
Guérin, 6 à sœur Agnès de Jésus,
1 à Mère Saint-Placide et 1 à sœur
Marthe de Jésus. D’autres lettres ont peut-être été écrites
qui ne figurent pas dans le recueil officiel.
Comment
traverser cette correspondance pour en retirer un réel
bénéfice ? Nous la présenterons en
fonction des destinataires.
Lettres à Mr
Martin (46,
48, 51, 52, 58, 61, 63, 64, 66, 68, 72, 77)
Cette
première gerbe de lettres balise le temps du postulat.
Son
père ne l’oublie pas. Il la choie: « Il
ne se passe presque de jour qu’elle ne reçoive
quelques présents de son Roi. » Les sœurs
carmélites ont des surnoms. Thérèse est
la « petite Reine », Pauline (sœur
Agnès de Jésus) « la perle fine » et
Marie (sœur Marie du Sacré-Cœur) s’octroie
ceux de « Diamant brillant » et de « Bohémienne. » L’affection
de Thérèse pour Pauline est visible : « Oh !
Papa, si tu savais comme elle est précieuse ta
petite perle fine. » (L. 46)
Mr
Martin est prodigue en cadeaux : des bougies… et
même du poisson. « Je crois que tu vas te
ruiner. » (L.48).
Les
présents continuent d’affluer « la
belle pelle, etc…, etc…, tout ce qui suit… » (L.
51). Thérèse n’écrit pas pour demander
quelque chose : « J’ai seulement besoin
de te répéter que je t’aime comme si tu
ne le savais pas encore… » (id.).
Il
essaie de diversifier les dons : du vin et des oiseaux
pour ses filles. Thérèse réagit avec une
grande intelligence. Elle ne heurte pas son père en
limitant les envois. Elle le qualifie de « facteur
du petit Jésus » sans le mettre à distance « je
resterai toujours ta petite reine et je tâcherai de faire
ta gloire en devenant une grande sainte. » (L. 52)
Encore
du poisson mais quel poisson ! « Si tu savais
comme ta carpe, ton monstre nous a fait de plaisir !
le dîner en a été retardé d’une ½ heure,
c’est Marie du Sacré-Cœur qui a fait la
sauce, c’était délicieux, cela sentait
la cuisine du monde… ». Mr Martin craint
que sa fille ne mange pas à sa faim. On ne faisait pas
bombance au Carmel. Thérèse le rassure « Je
n’ai jamais tant mangé que depuis que je suis
au Carmel ». (L. 58)
La
relation père-fille est plus profonde que l’alimentaire.
Après 4 mois de postulat elle lui confie que « Je
sens que je suis tout à fait dans mon centre » (id.)
c’est-à-dire à ma place. Thérèse
fait l’anamnèse des paroles paternelles « tout
ce que tu nous disais fréquemment : Vanité des
vanités, tout n’est que vanité, vanité de
la vie qui passe, etc. » Thérèse pense à son
père sans se détourner de sa quête car « quand
je pense à toi…, je pense naturellement au bon
Dieu, car il me semble qu’il est impossible de voir quelqu’un
de plus saint que toi sur la terre. » (id.)
La
séparation semble plus douloureuse pour Mr Martin que
pour Thérèse. Il faut encore et toujours rassurer
son vieux père : « Plus je vais, mon
petit Père chéri, plus je t’aime, je ne
sais pas comment cela se fait, mais c’est la vérité... », « Jésus
le Roi du ciel, en me prenant pour lui, ne m’a
pas enlevé à mon saint Roi de la terre, oh !
non, toujours, si mon petit Père chéri le veut
bien et ne m’en trouve pas trop indigne, je resterai : la
Reine à papa. » (id.)
C’est
la fête de Mr Martin. Qu’offrir à un père
qui comble sa fille ? « Ta petite Reine voudrait
avoir de magnifiques présents à t’offrir,
mais elle n’a rien. » Si elle disposait des
trésors de la terre aucun ne lui conviendrait. « Ce
qu’elle voudrait donner à son Roi ne se trouve
pas sur la terre, c’est Jésus seul qui le possède,
aussi elle va le prier de combler son Roi de consolations célestes. » (L.
61).
« Tu
vois, que tout en paraissant ne rien t’offrir je te donne
un magnifique cadeau. » Toutefois, Thérèse
offre à son « Roi » une petite
image dessinée par « la perle fine » et
peinte par elle.
Les
cadeaux deviennent royaux « Ta petite Reine est écrasée
sous le poids et la magnificence de tes présents. » (L.
63).
Mr
Martin en prévision de la prise d’habit de Thérèse
envoie de la dentelle pour enrichir sa tenue. « Si
ta Reine est indigne de tant de richesses, elles ne sont pas
trop belles pour l’Epoux divin auquel tu m’as donnée,
c’est pourquoi je serai heureuse de les porter. » (id.).
La
générosité de Mr Martin pour les sœurs
du Carmel est inépuisable : « Une avalanche
de poires, d’oignons, de prunes, de pommes… ». « Les énormes
oignons m’ont réjoui le cœur » et
d’ajouter avec son humour habituel « ils m’ont
fait penser à ceux d’Egypte, nous n’aurons
pas comme les Israélites à les regretter. » (id.)
Thérèse
est certaine de la sainteté de son père. « Si
sa dignité ne paraît pas aux yeux des hommes je
sais bien, moi, que dans le Ciel elle se montrera aux yeux
de Dieu… » (L. 64).
Mr
Martin a été « très malade ».
Elle écrira un peu plus tard à une religieuse : « J’ai
craint pendant quelques jours que le bon Dieu ne le ravisse à ma
tendresse, mais Jésus a daigné me faire la grâce
de le rétablir… » (L.70)
Thérèse
a été « tourmentée » et « Dieu
a écouté ses soupirs ». « Il
m’a rendu mon Roi ». « Il me semble
que l’affection est encore plus grande, si cela est possible,
quand on a tant souffert. » (L. 66).
La
lettre 68 est la plus riche de toutes. Jusqu’à présent
Thérèse jouait à la petite fille de son « papa
chéri » mais la peur de le perdre a été grande.
Ce fut une épreuve. « Je sais bien
pourquoi le bon Dieu nous envoie cette épreuve, c’est
pour que nous gagnons le beau Ciel, il sait que notre Père
chéri est tout ce que nous aimons le plus sur la terre,
mais il sait bien aussi qu’il faut souffrir pour gagner
la vie éternelle, et c’est pour cela qu’il
nous éprouve dans tout ce que nous avons de plus cher. » En
filigrane, nous entendons l’apôtre Paul enseigner
qu’il faut passer par bien des tribulations pour entrer
dans le Royaume de Dieu. Paul dit aussi que les souffrances
du temps présent ne sont rien en comparaison du poids
de gloire qui nous attend. C’est pourquoi Thérèse
ajoute un développement sur le Ciel : « Je
sens aussi que le bon Dieu veut donner à mon Roi dans
le Royaume du Ciel un trône magnifique, si beau et si élevé au-dessus
de toutes les pensées humaines… Est-il quelqu’un
que Dieu aime plus sur la terre que mon petit père chéri ?...
Vraiment, je ne puis le croire !... Aujourd’hui,
du reste, il nous donne la preuve que je ne me trompe pas,
puisque Dieu éprouve toujours ceux qu’il aime. » Thérèse
a 15 ans. Quelques expressions sont maladroites même
si nous comprenons ce qu’elle veut dire : « Je
crois bien que le bon Dieu fait ainsi souffrir sur la terre
afin que le Ciel paraisse meilleur à ses élus. » Plus
tard, Thérèse dans ce qu’il est convenu
d’appeler les « Derniers entretiens »,
alors qu’elle se meure à l’infirmerie du
Carmel, aura des propos plus nuancés.
La
canonisation de ses parents ne l’aurait pas surprise.
Voyez comme elle parle de son père : « Si
je ne suis pas une Sainte ce sera bien de ma faute, car avec
un père comme toi j’en ai bien les moyens. » (L.
72).
La
lettre 77 est la dernière lettre de Thérèse écrite à son
père. Toutes les autres ont été détruites.
Détruites et non perdues ! Thérèse
a les larmes aux yeux « Bien envie de pleurer si
je ne me retenais pas ». Accueillons ces ultimes
paroles conservées qui résument bien ce qui précède.
Thérèse imagine l’entrée de son
Père au ciel : « Les anges seront dans
l’admiration de voir un Père si agréable à Dieu,
et Jésus préparera une couronne, qu’il
ajoutera à toutes celles que mon Roi a déjà rassemblés. » Jamais
l’amour de son père n’a concurrencé son
amour pour Jésus. « Pour ta petite Reine…toi
en Père, et vraiment en Roi, tu n’as voulu la
confier qu’au Roi du ciel, à Jésus lui-même… Comme
je dois aimer un Père qui a bien voulu me procurer un
si grand bonheur, et comme je l’aime ! » (L.
72).
Thierry
Cazes
... à suivre ....