LETTRES DE SAINTE THERESE DE LISIEUX
(7)
Le
postulat (suite)
Lettres
46 à 80
(9
avril 1888 – 10 janvier 1889)
Lettres à Céline
(sœur de Thérèse) (47.
53. 57. 65)
Quatre
ans que Thérèse a fait sa première communion. « Que
de grâces le bon Dieu m’a faites depuis ce temps. » Elle
ne réalise pas encore tout à fait ce qui lui
arrive : « Il y a des moments où je
me demande si c’est bien vrai que je suis au Carmel,
parfois je ne puis y croire. Hélas ! qu’ai-je
donc fais au bon Dieu pour qu’il me comble ainsi de ses
grâces ? » (L. 47)
Céline
balançait entre la perspective du mariage et la vie
carmélitaine. Elle confiait à Thérèse
qu’elle n’avait « pas reçu de
grâce décisive » pour se prononcer.
Depuis, le projet de vie religieuse s’est affermi. Thérèse
l’encourage à persévérer dans cette
voie et y reconnaît l’œuvre de Dieu. « Maintenant
tu dois être toute à Jésus ; plus
que jamais il est tout à toi, il a déjà passé à ton
doigt l’anneau mystérieux des fiançailles,
Il veut être le seul maître de ton âme. » (L.
53)
Les
sœurs usent d’un langage symbolique qui n’aide
pas le lecteur. Thérèse développe un jeu
d’images autour du lis. Nous en retenons ce que nous
croyons avoir compris. « Tu sais, il n’y a
que le lis jaune qui aurait pu nous éloigner un peu. » Le « lis
jaune » représente le mariage. « Je
suis sûre que toujours un Lis blanc sera ton partage ».
Le Lis blanc opposé au précédent serait
la vie religieuse (virginité). « Comprends-tu
les lis ? »
Thérèse
se lance alors dans un long développement pas toujours
très clair. Le discours s’articule autour du « lis-immortelle » et
de cet autre lis placé à son côté.
Les grammairiens remarqueront la faute d’accord « lis-immortelle ».
Thérèse insistera « il sera immortelle ».
En fait, le « lis-immortelle » désigne
un féminin, Céline. C’est pourquoi Thérèse
maltraite les accords. De ce « lis-immortelle » Thérèse écrit
que « la tempête ne peut faire tomber le
jaune des étamines sur son blanc calice embaumé.» On
retrouve le jaune et le blanc. Jésus appelle Céline à la
vie religieuse et non au mariage. « A côté de
ce Lis Jésus en a placé un autre, son compagnon
fidèle, ils ont grandi ensemble… » Cet
autre lis est Thérèse. Si cette interprétation
est exacte on comprend alors Thérèse : « Jésus
demande TOUT à ses deux lis, il ne veut rien leur laisser
que leur blanche robe, TOUT, l’immortelle a-t-elle compris
sa petite sœur ? » (L. 57)
Thérèse écrit
quelques belles lignes sur le sentiment de l’absence
de Dieu : « La
vie souvent est pesante, quelle amertume... mais quelle douceur
! Oui la vie coûte, il est pénible de commencer
une journée de labeur… si encore on sentait Jésus,
oh ! on ferait bien tout pour lui, mais non, il paraît à mille
lieues, nous sommes seules avec nous-mêmes, oh ! l'ennuyeuse
compagnie quand Jésus n'est pas là. Mais que
fait-il donc ce doux ami, il ne voit donc pas notre angoisse,
le poids qui nous oppresse ? où est-il, pourquoi ne
vient-il pas nous consoler, puisque nous n'avons que lui pour
ami ? » Il éprouve les âmes qui lui
sont attachées pour les associer à son œuvre
de salut. « Il n'est pas loin, il est là tout
près, qui nous regarde, qui nous mendie cette
tristesse, cette agonie, il en a besoin pour les âmes,
pour notre âme, il veut nous donner une si belle récompense,
ses ambitions pour nous sont si grandes… » (L.57)
La perte du sentiment de la
Présence est
une « tristesse », « une
agonie ». Ce vide n’est pas la conséquence
du péché qui altère la perception de la
Présence. Thérèse est
convaincue que le retrait de l’expérience sensible
est un don très précieux. Elle n’est pas
loin d’affirmer que présence et absence sont
les deux facettes d’une même réalité pour
l’âme qui cherche Dieu. « Quand
on pense que si le bon Dieu nous donnait l'univers tout entier,
avec tous ses trésors cela ne serait pas comparable à la
plus légère souffrance. Quelle grâce
quand le matin nous ne nous sentons aucun courage, aucune force
pour pratiquer la vertu… au lieu de perdre son temps à ramasser
quelques petites paillettes, on puise dans les diamants, quel
profit à la fin du jour... il est vrai que quelquefois
nous dédaignons pendant quelques instants d'amasser
nos trésors, c'est alors le moment difficile, on est
tenté de laisser tout là, mais dans un acte
d'amour même pas senti, tout est réparé et
au-delà, Jésus sourit, il nous aide sans en avoir
l'air, et les larmes que lui font verser les méchants
sont essuyées par notre pauvre et faible petit amour.
L'amour peut tout faire, les choses les plus impossibles ne
lui semblent pas difficiles, Jésus ne regarde pas autant à la
grandeur des actions ni même à leur difficulté qu'à l'amour
qui fait faire ces actes... » (L.65) C’est
amasser de grands biens que d’aimer quand la moindre
chose a le goût du fiel. Les consolations sensibles ne
sont que des « petites paillettes » en
comparaison « des diamants » que sont
les actes d’amour posés dans le « même
pas senti ». Les méchants ne sentent rien
et agissent mal. Jésus place ceux qu’il aime dans
la situation « de ne rien sentir » pour
les conformer symboliquement aux pécheurs. Les larmes
que versent Jésus à cause des pécheurs
sont essuyées « par le pauvre et faible amour » des âmes
qui privées de tout appui sensible n’en restent
pas moins aimantes. « Tout est réparé et
au-delà. » C’est l’histoire du
salut, l’histoire de l’amour sauveur !
Lettre à Mère
Saint-Placide (70)
Cette
religieuse bénédictine est la directrice du pensionnat
que fréquentait Thérèse. Elle envoie une
circulaire aux anciennes élèves membres des « enfants
de Marie » pour les inviter à une fête
en l’honneur de la
Sainte Vierge. C’est
l’occasion pour Thérèse d’évoquer
sa consécration à Marie l’après
midi de sa première communion. « N’est-ce
pas dans cette chapelle bénie que la
Sainte Vierge a bien
voulu m’adopter pour son enfant au beau jour de ma première
Communion et en celui de ma réception dans la congrégation
des enfants de Marie. » « Je ne puis
douter que la grâce insigne de ma vocation religieuse
n’ait pris son germe dans cet heureux jour où entourée
de mes bonnes Maîtresses, j’ai fait à Marie
la consécration de moi-même au pied de son autel,
la choisissant spécialement pour ma Mère, alors
que le matin j’avais reçu Jésus pour la
première fois. » Elle remercie les « Maîtresses » qui
ont « avec tant de soin préparé mon
cœur » et ce cœur « depuis
mon entrée au Carmel est encore devenu plus tendre et
plus aimant. »
Thierry
Cazes
... à suivre ....