Neuf rangées de trois bancs derrière
d'étroits bureaux. Quatre élèves par banc.
Cela fait cent huit. J'ai compté cent huit élèves
dans la première classe visitée, une classe de sixième
dans un collège à l'excellente réputation,
à Bafia, bourgade de la Province du Centre au Cameroun,
à deux heures de route de Yaoundé, dans la savane
où coule le Mbam, affluent du Sanaga. Deux professeurs
se sont partagés les élèves d'un collègue
absent. Ce qui ramène tout de même l'effectif habituel
à plus de soixante cinq enfants par classe.
Un peu plus loin, en seconde C, on essaie d'alléger : je
compte cinquante cinq élèves. C'est ainsi partout,
sauf cas particulier et exceptionnel.
Les enfants et les jeunes sont attentifs à
l'enseignement et appliqués. L'école est vécue
par ceux qui peuvent y aller comme la promesse d'une promotion
sociale espérée. Les maîtres sont majoritairement
des hommes, la plupart des femmes ayant en charge la vie domestique
et les cultures vivrières. Les maîtres sont respectés.
Ils s'expriment sans devoir hausser le ton et font un grand usage
du tableau et de la craie. L'on parle français mais l'on
se salue, ici ou là, en anglais. Le bilinguisme est courant,
en sus des dialectes locaux habituels. L'uniforme, très
répandu, confère à l'ensemble une unité
impressionnante. Il évite les surenchères et querelles
vestimentaires, manifeste l'appartenance à un établissement
qui procure souvent tissu et patron aux familles, et témoigne
de la fierté de le fréquenter.
Les maximes ou les mots affichés sur les
murs, sur autant de panneaux édifiants, incitent à
une morale commune: « Travail - Succès - Éclat
» ou « Enthousiasme - Réussite - Volonté
» ou ceci encore, vu dans une classe de CE : «
Monsieur Basile ne connaît pas le marabout. La vraie magie
c'est le travail. Il faut prier Dieu. » Et l'on prie souvent,
en effet...
Les murs des écoles sont en parpaings,
en briques de terre, ou en boue séchée. Les charpentes
sont recouvertes de tôle ou d'aluminium. La poussière
en saison sèche et les précipitations en saison
des pluies endommagent très vite des locaux trop exigus.
Il faut entretenir, réparer et bâtir pour satisfaire
les demandes d'inscription de plus en plus nombreuses. Une simple
classe coûte un million et demi de francs CFA, soit environ
deux mille euros, tandis que les familles payent autour de sept
mille cinq cent francs CFA pour une année de scolarité.
Ce sont là les seules ressources pour financer les charges
pédagogiques, immobilières et de fonctionnement.
L'État ne donne rien à l'école catholique
qui accueille pourtant près de la moitié des enfants
scolarisés.
La qualité éducative et le succès
aux examens sont les premiers ingrédients de son succès
et la stratégie retenue, pour augmenter la demande d'inscription
et les ressources indispensables à un bon fonctionnement
est celle de l'excellence en tous domaines : instruction, éducation,
gestion, morale. Il y a, en filigrane de ce choix exigeant, non
seulement la conscience de contribuer utilement au développement
par l'éducation, mais aussi celle, qui lui est d'ailleurs
liée, d'une responsabilité particulière de
la formation humaine globale de ceux qui, un jour prochain, seront
les cadres et dirigeants du pays.
Les journées scolaires sont organisées en trois
séquences de deux heures, de 7 h 30 à
14 h 30 au plus tard, coupées par deux longues
récréations. Les élèves et les maîtres
rentrent l'après-midi chez eux, dans un rayon d'une dizaine
de kilomètres. Ils vont, travailler aux champs, avec leur
machette et leur houe, jusqu'à la nuit qui tombe vite à
quelques degrés au nord de l'équateur. Ils vont
et viennent à pied, sac au dos ou sur la tête.
Les élèves sont pour la plupart démunis
des fournitures scolaires élémentaires : cahiers,
crayons. Ils apprennent à ne pas gaspiller le peu qu'ils
ont. Les livres sont rares, anciens et toujours chers. Faute de
moyens le matériel pédagogique est insuffisant et
non actualisé. Ce manque est douloureusement ressenti.
Il est en partie comblé par l'ingéniosité,
le travail en équipe, le partage d'expériences ou
la construction à plusieurs de séquences de cours
qui sont des aides précieuses à l'invention pédagogique.
La bonne volonté, la disponibilité et l'acharnement
au travail y réussissent des prouesses.
La demande de rencontres pédagogiques et de formation
est importante. Pour parler de son métier. Pour renforcer
ses compétences et en acquérir de nouvelles. Pour
trouver aussi les moyens d'un développement durable, par
delà toute aide ponctuelle venue de l'extérieur.
Pour dire aussi le sens et la force de son engagement dans un
enseignement catholique vécu intensément par la
plupart comme une mission d'Église. Mais le déplacement
coûte cher lorsqu'il faut prendre l'autobus ou le taxi pour
rejoindre le siège diocésain et se nourrir hors
de chez soi.
Les maîtres ne sont rémunérés qu'à
partir des ressources versées par les familles, centralisées
au secrétariat pour l'Éducation. Ils ne peuvent
quelquefois être payés que neuf mois sur douze, sur
une base mensuelle qui se situe pour la plupart d'entre eux entre
quarante mille et soixante dix mille francs CFA, soit au mieux
une centaine d'euros. S'ils comparent leur situation à
celle qu'ils imaginent de leurs collègues occidentaux,
ils peuvent exprimer un sentiment de frustration parfois tempéré
par ce qu'ils devinent lucidement de la dégénérescence
occidentale du lien social. Mais le mythe de l'eldorado européen
résiste encore à tous les démentis. L'on
m'a souvent demande comment venir en France et y travailler. Ils
attendent beaucoup les uns des autres dans un contexte où
la solidarité n'est pas un vain mot. Mais ils attendent
aussi beaucoup de ceux qui, ailleurs, ont infiniment plus de richesses
matérielles qu'eux et pourraient en partager un peu.
L'équipe renouvelée du secrétariat à
l'Éducation, l'équivalent de la direction diocésaine,
doit gérer le fonctionnement matériel des écoles,
l'emploi des personnels et le projet éducatif de l'enseignement
catholique articulé cette année autour des « sept
facteurs de la réussite » proposés par
Mgr Bala, évêque de Bafia. Chacun de ces facteurs
importe et ils doivent être optimisés simultanément
: l'affectif, l'éthique, l'économique, le social,
le psychologique, le pédagogique, le spirituel. Nous avons
travaillé ensemble, avec une centaine de chefs d'établissements
et d'enseignants, à la mise en œuvre concrète
de ces facteurs par les maîtres, les élèves,
les familles et le secrétariat à l'Éducation.
La clarté des questions posées, la précision
des réponses apportées et la franchise des échanges
ont forcé mon admiration. La joie aussi, celle qui naît
de la rencontre et des paroles offertes, de l'enthousiasme partagé
et d'un sens très aiguisé de l'accueil, de la relation
et de la fête.
Le diocèse de Digne et le diocèse de Bafia sont
jumelés. L'Enseignement catholique d'Aix-Digne et celui
de Bafia ont beaucoup à se dire et à partager dans
une démarche de connaissance mutuelle et de réciprocité
des échanges qui devrait ne pas s'en tenir au volet matériel.
De nombreux ponts restent à construire entre les personnes,
entre les établissements et entre les diocèses pour
un surcroît d'humanité dont nous ne serions certainement
pas, à terme, les moindre bénéficiaires.
C'est l'une de nos manières de vivre aujourd'hui notre
très profond attachement aux relations internationales
et à l'ouverture à l'universel.
Jean Conrad, Direction Diocésain de l'Enseignement
Catholique